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Témoignages

J’ai dû couper les ponts avec mon cousin complotiste

Claire est journaliste. Elle a l’habitude de fouiller ses sujets, vérifier et contre-vérifier ses sources, demander les avis d’experts et se fier à la science pour se faire une idée juste des choses. Auparavant proche de son cousin Marc, elle a dû couper les ponts avec celui qui, pendant la pandémie, est tombé dans les théories du complot. Un éloignement qui lui déchire le cœur. Elle raconte son histoire.

Même avant de devenir conspirationniste, il y a de cela 8-10 ans, Marc avait déjà des tendances à tendre vers le complot. Quelque chose allait venir, disait-il, car selon lui « la civilisation ne pouvait pas continuer comme cela ». 

Le mal qui était à nos portes, le monde souffrant d’influences et de forces extérieures, la franc-maçonnerie, les races supérieures, les croyances découlant de Staline et Hitler : tout cela prenait déjà beaucoup de place dans la tête de ce féru d’histoire et de politique.

« Ces derniers mois, tout s’est confirmé pour lui, révèle sa cousine avec désolation. C’est comme s’il avait une soif de savoir qui n’a pas été assouvie. Il est fou d’histoire, mais tout en étant déçu de la tournure des événements politiques et économiques, il est devenu blasé. Il a donc tourné des injustices qui le révoltaient vers quelque chose qui serait “pensé d’avance en vue de notre destruction”.»

Le virus (« juste une petite grippe ») serait faux selon l’homme de 51 ans qui semble avoir désormais réponse à tout. Son principal discours? Que la pandémie est un complot organisé par le gouvernement et par ceux qui tirent les ficelles, et que la science fait partie des éléments servant à « dévier de la véritable intention des maux »!

Homme complotiste seul dans la nature

Le complot a pris toute la place dans son existence.

Une famille aux deux extrémités des conspirations

Si la journaliste avait commencé à s’éloigner de son cousin avant la pandémie, car elle le voyait « animé par quelque chose qui dépassait l’entendement », Claire a maintenant carrément cessé de le fréquenter.

« Tout cela nous a éloignés, confie Claire. Je n’ose même plus prendre de ses nouvelles, car si je lui demande comment il va, il va me dire : “ça va comme ça peut dans le monde qu’on vit” et il va avoir de la difficulté à parler de lui ou de choses banales. Pour lui, la vie a pris une tournure incroyable. Le complot a pris toute la place dans son existence. »

Depuis la pandémie, Marc – un ancien grand voyageur qui n’hésitait pas jadis à se faire vacciner pour bourlinguer - a vendu sa maison en Estrie pour partir vivre seul dans la forêt. 

Ça éloigne des gens de la même famille, car ça devient omniprésent. La personne a l’impression qu’elle doit convaincre les autres de la nécessité de penser comme elle.

Il n’a presque plus de contact avec sa famille et il vit reclus avec des gens qui pensent comme lui, à la manière d’une secte.

« Il s’est fait des amis de son genre, membres de nouveaux partis politiques ou d’initiatives citoyennes visant à renverser l’establishment en place. Cela ne me surprendrait pas de le voir participer à des manifestations anti-gouvernement, il pourrait même verser dans l’anarchisme, croit Claire. Il a presque convaincu son père - mon oncle - qui n’est pas vacciné parce qu’il écoute son fils. »

En tant que journaliste, Claire a d’abord tenté de discuter avec son cousin afin d'essayer de le comprendre. Rapidement, ses « sources » l’ont grandement dérangée, particulièrement celles provenant de vidéos YouTube. « Des vidéos de l’ordre du diable », ajoute celle qui ne s’explique toujours pas comment son cousin peut croire à « ce mal invisible qui plane au-dessus de nous ».

Entre les deux cousins, un dialogue constructif semble désormais impossible. 

À lire aussi : Ces théories du complot en temps de pandémie : quoi et pourquoi?

Couper les ponts pour se préserver

La journaliste, qui a toujours su son cousin fragile, en est même venue à se demander s’il n’est pas aussi question ici de maladie mentale.

« C’est comme s’il était tombé dans la religion, mais du côté du complot, lâche-t-elle. C’est triste, parce que ça éloigne des gens de la même famille, car ça devient omniprésent. La personne a l’impression qu’elle doit convaincre les autres de la nécessité de penser comme elle et tourne le dos à ceux qui ne pensent pas pareil. »

Théories du complot

Le frère de Marc a lui aussi cessé de communiquer avec celui qui vit maintenant dans une cabane sans eau ni électricité. Coupé du monde, il est désormais absent des médias sociaux et refuse de se fier aux médias traditionnels.

« Il est impossible de revenir vivre dans la société en pensant comme cela, relève sa cousine. Sa pensée est trop avancée, il est trop sûr de lui. Maintenant, peu importe le sujet - les vacances, Radio-Canada, la pandémie, les masques, le vaccin - pour lui, tout relève d'un complot! »

Claire avoue regretter le temps où elle pouvait encore avoir des discussions sur des sujets sociaux avec lui ; au sujet de l’égalité des genres et des discriminations comme les minorités et les gens pauvres par exemple. Le temps où elle était d’accord avec lui sur le fait qu’il fallait que certaines choses changent. Mais la graine de révolution s’est transformée en quelque chose de surréaliste, une vidéo de « reptiliens » et de « politiciens-monstres » à la fois.

« Je l’aime beaucoup, je l’aime encore et j’ai de la peine, confie Claire. Mais ça ne me tente pas plus que ça, aller souper avec lui pour entendre encore ses théories. Car à l’écouter, il n’y a plus rien qui tient. Son discours prétendant qu’il y a des dirigeants qui veulent qu’on disparaisse, c’est trop pour moi. J’ai une famille, des enfants, je veux continuer à croire que notre monde n’est pas perdu. C’est trop fataliste et décourageant. » Pour éviter de se fatiguer davantage et d’y laisser sa santé mentale, Claire a finalement décidé de se tenir loin des croyances catastrophiques de Marc.

Malheureusement, ces histoires de familles ou d’amis qui ne se parlent plus ou qui entrent en conflit à cause des théories du complot se sont multipliées pendant la crise sanitaire. Chose certaine : si comme Claire, de nombreuses personnes n’ont pas réussi à faire entendre raison à leur ami, cousin ou mère complotiste, le temps fera peut-être son œuvre…