Passer au contenu principal

Début du contenu principal.

Témoignages

De la lumière dans le chaos : deux infirmières-chefs racontent la pandémie

Infirmière durant la pandémie de COVID-19

C’est à l’hôpital de Verdun qu’a été déclaré le tout premier cas de COVID-19 au Québec. C’est aussi là que travaillent la chef d’unité médecine de l’unité COVID Dominique Demers et l’infirmière-chef aux soins intensifs Jenny Ulloa.

Dans le parc voisin de cet hôpital où elles passent le plus clair de leur temps, les deux femmes m’ont parlé de leur travail ayant pris une tournure inimaginable, de la solidarité malgré le chaos et de leur amour viscéral pour leur profession. Les deux soignantes nous racontent leur pandémie. 

Donner sans compter

Dominique Demers travaille à l’hôpital de Verdun depuis 32 ans. Elle est devenue infirmière-chef par intérim avec l’arrivée de la COVID-19, une opportunité d’avancement de carrière inespérée pour celle qui est désormais officiellement chef d’unité médecine de l’unité COVID. « Ce nouveau chemin m’a permis de retrouver l’amour de mon travail et de relever un nouveau défi, dit-elle le regard pétillant. J’avais une soif d’apprendre et de donner. La pandémie a été un accélérateur d’opportunités. On dirait qu’on a été aspiré par le haut. En ce moment, j’ai des ailes! »

Même son de cloche pour Jenny Ulloa, 38 ans. Infirmière depuis 16 ans. Devenue infirmière-chef aux soins intensifs par intérim en juin 2020, elle travaille toujours aujourd’hui dans cette zone. 

Une infirmière s'apprêtant à aller dans la zone de soin COVID

« Il faut être là pour soi et pour les patients, explique Dominique. Tout est arrivé de façon rapide. Il n’y a plus de montre ni de temps : le monde donne, on a besoin, on est présent. »

« C’est comme s’il y avait un monde avant la COVID et un monde pendant, parce qu’on est encore dedans », ajoute Jenny. Il a fallu s’ajuster à cette nouvelle réalité et trouver, en tant que gestionnaire, les mots ou la façon adéquate pour rassurer et informer l’équipe et les patients, malgré nos propres craintes et émotions. » 

Si les défis de la pandémie sont énormes, la liste des points positifs et des moments lumineux est aussi bien remplie pour les deux femmes devenues amies au cœur de la tempête. Leur principale bouée de sauvetage? L’incroyable complicité s’étant développée en accéléré entre collègues.

« Quand il y a de gros défis dans la vie, on se rapproche encore plus pour s’aider, explique Jenny. C’est ce que la COVID-19 a apporté : on s’est mis ensemble pour trouver des solutions. En 16 ans de carrière, c’est la première fois que j’ai vécu des relations aussi intenses entre tous les acteurs : infirmières, médecins, spécialistes… On avait un but commun, on travaillait ensemble. Cela a solidifié nos relations, on sait désormais qu’on pourra toujours compter les uns sur les autres. »

On a toutes les raisons d’être épuisé, mais on est parti de «ça fait peur» à une fluidité au travail, c’est beau quand même. - Jenny Ulloa

Dominique, de son côté, n’oubliera jamais la dernière période des Fêtes où le mot d’ordre est naturellement devenu : donner sans compter. « On était la famille, la sœur, le frère, l’ami, on était là pour les patients et eux aussi étaient là pour nous, car nous nous plus, nous n'étions pas avec nos familles, se souvient-elle avec émotion.

Dans l’unité COVID, l'équipe de soignants parvient à faire vivre la magie de Noël à leurs patients grâce à Québec Issime et leur spectacle Décembre. « Pendant un moment, on leur a fait oublier qu’ils étaient à l’hôpital. Ça a été mon moment marquant. J’en parle et j’ai des frissons », s'émeut Dominique. 

Il faut dire que l'infirmière-chef sait de quoi elle parle, puisqu'elle a contracté la COVID-19 assez gravement pour devoir être hospitalisée pendant une semaine complète.

« Ne plus être capable de respirer, je sais ce que c’est, explique celle qui est devenue « en charge de cette bibitte-là » un an jour pour jour après son hospitalisation. Alors maintenant, même si je dois vivre avec un N95 au quotidien et que les procédures et les règles dans la zone COVID sont exigeantes, je sais que c’est toujours mieux que d’être malade. Je suis reconnaissante. »  

À lire aussi : Une infirmière atteinte de la COVID-19 se confie : « Ne pas l'attraper aurait été un miracle »

Une infirmière avec un masque N-95 pendant la pandémie

Rendre possible l’impossible

Jenny portera toujours au fond d’elle le souvenir de sa toute première patiente atteinte de la COVID-19.

« Il y a des patients qui viennent te toucher au plus profond de ton cœur. Je me disais : là, c’est vrai! La dame n’était pas très âgée et pour le soin que je devais lui donner, elle devait juste se tourner un peu sur le côté, mais cela lui prenait toute son énergie, elle était à bout de souffle. Je voyais la détresse et la peur dans ses yeux. C’est à ce moment que j’ai vraiment compris l’impact de la COVID-19. C’est quand tu le vis que tu le comprends vraiment. Cette dame va toujours rester avec moi. »

Dominique, quant à elle, évoque une patiente atteinte du coronavirus arrivée inconsciente à l’hôpital qui, quelques mois plus tard, est venue lui faire une blague dans son bureau. « On ne pensait pas qu’elle allait s’en sortir, avoue-t-elle. Elle a été célébrée quand elle a été extubée aux soins intensifs. Pour moi, ça a été un vrai travail d’équipe. C’est la raison pour laquelle on se donne. »

Jenny s’est découvert une grande capacité d’écoute au cours des derniers mois : « c’est la raison pour laquelle on fait ce métier-là : pour prendre soin des autres. Malgré tout, on a réussi à garder une certaine humanité dans la pandémie. On a trouvé des moyens pour surpasser le manque de contacts humains. Car les contacts humains et la présence sont aussi importants que les soins physiques. »

Une infirmière rentre chez elle pendant la pandémie de COVID-19

Moi, je vais sortir de l’hôpital à 16h, mais la patiente, non. Donc, il se peut que tu sois fatiguée et que tu aies chaud, mais tu es vivante. - Dominique Demers

L’entraide et la gratitude se sont poursuivies au-delà des murs de l’hôpital. Les familles, les voisins et les membres de la collectivité ont tenu à leur démontrer leur reconnaissance à grands coups de collations, de repas et de petites pensées délivrées de manière quotidienne.

« Souvent, je n’avais pas le temps de manger, explique Jenny. Mon équipe m’apportait de la nourriture, me cuisinait des repas. Plusieurs commerces nous ont fait des dons de muffins, de café, de nourriture. On a reçu des cadeaux de patients aussi, des lettres, des cartes de la famille. Cela nous a tenus. »

La pandémie lui aura appris beaucoup sur elle-même et ses limites, poursuit-elle. « Je n’aurais jamais pensé que j’avais cette capacité à gérer des situations aussi difficiles. Pouvoir dire : « hey, je m’en suis sortie même s’il y a eu des moments très très pénibles », je crois plus en moi désormais. C’était de la survie, j’étais souvent sur le stress et l’adrénaline, mais vivre des choses comme ça a fait en sorte que des choses qui avant me faisaient peur ne me font plus peur. »

« J’ai le bonheur facile, mais cela a fait qu’il y a eu un avant et un après, ajoute Dominique. Maintenant, je me lève chaque jour en me disant : moi, je vais sortir de l’hôpital à 16h, mais la patiente, non. Donc, il se peut que tu sois fatiguée et que tu aies chaud, mais tu es vivante. Personnellement, j’ai redécouvert une passion. Je sais que je suis à ma place. On ne donne pas pour recevoir, c’est ce qui est le plus fort là-dedans. Le temps que je donne, ce n’est pas vrai que je le calcule. »

Un patient qui s’en sort reflète tout le travail d’équipe, tient à conclure Jenny. « Avoir le privilège de changer la vie de quelqu’un, de faire la différence, c’est extrêmement gratifiant. »