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Témoignages

Une fête des Mères au goût amer: célébrer sa maman malgré son absence

PAR : Sarah-Émilie Nault

Si pour la plupart des gens, la fête des Mères est une journée heureuse, remplie de sourires et de célébrations, pour certain.e.s cette fête vient plutôt remuer des souvenirs douloureux et peut faire écho à un deuil

C’est le cas de Maude qui, à 29 ans, met de côté son téléphone et évite les réseaux sociaux lors de cette journée où elle souhaiterait plus que tout pouvoir célébrer sa maman, décédée il y a quelques années.

Sous un beau gros soleil d’avril, Maude arrive à notre rencontre en tenue de jogging. C’est que la jeune femme se connaît bien; elle sait que notre discussion va soulever en elle tout un tas d’émotions et que la course, ensuite, lui fera du bien. De pair avec l’autodérision, le sport est l’une des choses qui l’aident le plus dans son deuil comme dans sa vie en général. 

Originaire de Boucherville, Maude déménage à Montréal à la suite du décès de sa mère en 2011. Un décès tragique et soudain qui a laissé la jeune femme de 20 ans dans une grande tristesse doublée d’un long mutisme sur tout ce qui touchait sa mère. 

En fait, cela ne fait que quelques années qu’elle arrive à parler et à lire des écrits de sa maman disparue.    

Si elle accepte de raconter son histoire aujourd’hui, c’est qu’elle croit qu’il est important damener les gens à réfléchir à d’autres réalités. 

«C’est important d’avoir d’autres versions, d’autres témoignages que celui de la belle vie avec les deux parents, dit-elle de sa voix douce. Peut-être aussi que cela va donner la chance à des gens de vraiment serrer leur maman dans leurs bras, pour vrai, et de laisser faire les photos sur les réseaux sociaux le jour de la fête des Mères. De vraiment vivre le moment et de se rendre compte que c’est précieux.»

Une femme est triste

Si la fête des Mères, comme toutes les fêtes et les grandes célébrations, a pour elle un goût amer depuis près d’une décennie, c’est que  le départ de sa mère a été violent et surtout soudain. 

Accepter l’inacceptable

«Un lundi matin, on s’est dit bonne journée et on ne s’est jamais revues, raconte-t-elle en un souffle. Elle a eu un accident d’auto. Je pense que la violence de sa mort a contribué à quelque chose de complexe comme deuil.»

«On s’était un peu chicané la veille, cela a été très difficile pour moi, poursuit-elle. Ma mère était enseignante et elle avait pris congé de l’école ce jour-là pour aider sa sœur à déménager. En revenant du déménagement, ma mère s’est arrêtée sur le bord de l’autoroute pour me parler au téléphone. Évidemment, j’ai longtemps pensé que si je ne l’avais pas appelée, si elle ne s’était pas arrêtée sur le bord de la route, si elle était passée en voiture quelques secondes plus tôt… Mais à un moment donné, il faut que tu arrêtes avec les si.»

La jeune femme a attendu sa mère qui devait venir la chercher à l’UQAM pendant un bon moment, puis a pris le métro, inquiète, en téléphonant à sa famille pour tenter de comprendre ce qui se passait.

Il y avait une détresse en moi, une tristesse et j’avais peur de rester figée comme cela toute ma vie.

«J’ai commencé à voir des alertes sur mon téléphone disant qu’il y avait un gros accident près de Boucherville, mais je ne me posais pas trop de questions. On dirait que tout cela était trop gros. Je voyais que c’était un gros accident et qu’il y avait plusieurs voitures d’impliquées.»

Puis, une nouvelle sur le site de Cyberpresse mentionnant qu’une conductrice de 52 ans conduisant une Mazda était décédée lui a fait tout comprendre.

«C’est fou d'apprendre la mort de ta mère sur une application, lance-t-elle. Mon père a appris la nouvelle par des journalistes qui sont venus cogner à notre porte avant même que les policiers viennent nous voir. Je vais toujours leur en vouloir. Tout s’est passé très vite. On a dû aller identifier le corps et je ne suis toujours pas certaine que j’aurais dû voir cela, même si on m’avait dit que cela allait m’aider dans mon deuil. Franchement, ce fut une scène horrible.»

Un deuil brutal et compliqué

À partir de ce moment, le bébé de cette famille de trois enfants se met un grand masque qu’elle portera un long moment.

Un «masque de joker» comme elle l’appelle, qui projette l’image d’une jeune femme forte, qui va bien. Un masque qu’elle a appris - et qu’elle apprend toujours - à retirer doucement. 

Une femme en deuil de sa mère

Elle retourne à l’école une semaine à peine après la mort de sa mère et se jette dans une relation amoureuse un peu complexe. «Tu sais, quand tu as mal quelque part, on dirait que tu veux équilibrer la souffrance d’une certaine façon. Cette relation était vivante, concrète, physique, je me suis vraiment lancée là-dedans.»

Son processus de deuil s’avère aussi long que complexe. Si les membres de la famille ont chacun leur façon de jongler avec la mort, c’est le sentiment d’injustice, la colère et une tristesse immense qui priment chez Maude. Elle fera alors beaucoup dans l’auto-sabotage. 

«Je buvais beaucoup la veille des fêtes, confie-t-elle. Il y avait une détresse en moi, une tristesse et j’avais peur de rester figée comme cela toute ma vie. C’est comme si je ne voyais plus la vie en couleurs.»

Heureusement, sa grande sœur est là pour elle, reprenant un peu le rôle de leur maman. «Une chance que je l’ai eue, je ne sais pas comment j’aurais fait sans elle.»

Polaroid d'une mère et sa fille

Ma maman, je la célèbre un peu tous les jours [...] ma capacité à m’émerveiller, cela fait partie de l’éducation qu’elle m’a donnée.

Célébrer sa maman malgré l'absence

À ce jour, Maude n’est jamais retournée sur la tombe de sa mère, contrairement à sa sœur, son frère et son père qui s’y rendent, justement, à la fête des Mères.

On ne verra jamais, non plus, de photos de sa mère sur les réseaux sociaux à la fête des Mères. «Ma relation avec ma mère est trop intime», dit celle qui a appris à être plus bienveillante envers elle-même au fil des années.

Cette journée-là, Maude prendra plutôt soin d’elle en s’entourant de gens qui lui font du bien, en visitant sa sœur et sa conjointe nouvellement mamans, en discutant peut-être avec ses «ami.e.s endeuillé.e.s» et en passant du temps avec sa grand-mère et son père qui, atteint d’un cancer de stade 4, tente de préparer sa famille à un autre deuil à venir.

«Mais sous le grand masque, c’est difficile, c’est une journée qui me gruge de l’énergie, car moi, ma maman n’est plus là, confie celle qui se dit entourée d’ami.e.s fidèles qui lui envoient de petits mots doux à cette date précise. C’est une journée chargée en émotion et triste, même si mon rapport au deuil s’est adouci, lui aussi.»

«Ma maman, je la célèbre un peu tous les jours, ajoute celle qui se dit être devenue très semblable à sa mère au fil du temps, en grandissant. Quand je trouve que je suis fine ou bienveillante avec les autres, dans des petites actions, des sourires envoyés à des inconnus dans la rue, ma capacité à m’émerveiller, cela fait partie de l’éducation qu’elle m’a donnée. Quand je suis fière de moi, je suis fière d’elle. Elle m’a donné tout l’amour, de bonnes valeurs qui viennent d’elle et de mon père, j’ai été très privilégiée, malgré cet événement triste. J’essaie de le faire vivre à travers moi. »

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