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Témoignages

« Je ne suis pas une survivante des pensionnats, je suis une vivante »

Le 3 juillet 2021, Jeannette Siméon s’est rendue au cimetière de Kahnawake afin de placer une croix en fer pour sa sœur disparue lorsqu’elle était enfant : la petite Julienne qui n’est jamais revenue du pensionnat pour les autochtones de Fort George.

À 68 ans, la femme innue originaire de Mashteuiatsh sait enfin la vérité : sa soeur est tombée malade lorsqu’elle était pensionnaire et est décédée à l’hôpital Maisonneuve. Son petit corps, qui n’avait jamais été renvoyé à sa famille, a été enterré quelque part dans ce cimetière. 

Jeannette nous parle de ses années de recherche et de défis, de la révolte qui n’est plus et de ce que signifie, pour elle, être autochtone en 2022. Avec générosité et bienveillance, elle accepte de partager son histoire au public.

Lorsque de nombreux corps d’enfants ont été retrouvés dans d’anciens pensionnats du pays, Jeannette Siméon n’a pu faire autrement que d’avoir mal pour les familles des victimes. De comprendre aussi, elle qui vient tout juste d’avoir des réponses aux questions qu’elle se posait depuis toutes ses années à chercher sa soeur. 

« J’ai trouvé cela triste pour eux, ce n’est pas facile, dit-elle. Je n’ai pas été surprise de voir cela non plus. Par contre, j’essaie de vivre en exerçant le détachement par rapport à cela. Je ne dis pas que je suis indifférente, bien au contraire, mais pour me sortir de tout cela, j’ai dû faire du détachement. »

Les années d’abus dans les pensionnats

Celle qui a elle-même fréquenté des pensionnats pendant sept ans de sa vie lorsqu’elle était enfant n’a pas fini de travailler sur ce détachement nécessaire à toute reconstruction. En effet, de nombreuses épreuves sont venues ébranler son parcours.      

« Les années de pensionnat à Fort George étaient difficiles, car c’était loin, se souvient-elle. C’était une île, alors on était coincés là-bas, on ne voyait pas nos familles. J’étais très jeune, on était des enfants qui se posaient des questions. On ne savait pas où on allait, ils avaient simplement dit à nos parents qu’on allait apprendre à lire et à écrire. Au pensionnat de Pointe-Bleue, c’était plus facile, car on pouvait sortir et aller voir nos familles au village. »

Mashteuiatsh

Jeannette - par ailleurs, une proche parente du journaliste et auteur du roman Kukum Michel Jean - n’a que de bons souvenirs de sa sœur : « elle était joyeuse, on jouait et on riait ensemble. Elle était calme, c’était une enfant qui aimait la vie. Quand elle était à l’hôpital [Julienne est décédée à l’hôpital Maisonneuve], ils l’ont opérée et elle criait en innu : « neka, neka » : cela veut dire maman, maman! Ils l’ont enterrée là-bas. Je me dis qu’elle doit être contente que sa famille l’ait retrouvée. Moi, je suis contente qu’elle n’ait pas été enterrée en arrière du pensionnat comme les autres enfants. Cela aurait pu lui arriver et ça aurait été difficile. »

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Un deuil enfin possible

C’est en compagnie de ses sœurs et d’autres membres de la famille que Jeannette Siméon s'est recueillie au cimetière de Kahnawake. 

« Me rendre là-bas signifie beaucoup de choses, affirme Jeannette Siméon. Pour moi, c’est une réussite d’avoir trouvé ma sœur. Cela m’a pris 9 ans pour la retrouver. J’ai commencé à faire des démarches avec ma fille France qui est décédée il y a 2 ans. J’ai beaucoup de gratitude envers elle et elle sera là en esprit avec moi lors de la cérémonie. C’est une victoire et une joie de l’avoir trouvée, mais aussi de la tristesse. » 

Jeannette Siméon devant la tombe de sa soeur.

Pour moi, la réconciliation, c’est le pardon et le pardon vient d’abord de soi-même.

Désormais en paix avec son passé, elle explique ne pas ressentir d’animosité envers la religion catholique et insiste même pour poser, dans quelques jours, une croix symbolique confectionnée par une amie sur la tombe de sa petite sœur.

« Mes parents ont toujours prié et mes grands-parents ont toujours porté une croix, explique-t-elle. Je n’ai rien contre la croix. L’église est comme à part pour moi, mais la croix, c’est important. En fait, je ne suis pas fâchée contre cette religion-là, car cela m’a aussi aidé à comprendre le sens de ma vie. J’ai aimé la religion catholique et la spiritualité autochtone que j’ai reçues.»

Le cheminement et la paix en héritage

« J’ai travaillé fort sur le pardon de moi-même, ajoute-t-elle. Quand je suis sortie du pensionnat, ce n’était pas pareil ; j’étais révoltée, j’avais envie de vengeance à cause du racisme, mais ce n’est plus comme ça. J’essaie de reconnaître ce qu’est le vrai sens de la vie et pour moi c’est d’être capable de comprendre ce que je vis aujourd’hui, sans avoir de rancune ni de révolte. Pour moi, la réconciliation, c’est le pardon et le pardon vient d’abord de soi-même. »

Elle explique être passée à travers bon nombre d’épreuves au cours de sa vie : le deuil de sa sœur, le suicide de son garçon, le décès récent de sa fille et ce moment où elle a elle-même frôlé la mort en 2017, entre autres.

À la lumière des tristes et récentes découvertes dans différents pensionnats du Canada, elle affirme: « je ne suis pas une survivante des pensionnats, je ne suis pas étiquetée. Je suis une vivante et vivante pour moi ça veut dire essayer de prendre en main le sens de ma vie. »

Aujourd’hui, Jeannette offre des conférences où elle partage sa fierté d’être une Innue autochtone, et d’être passée à travers tant d’épreuves douloureuses.

« Il faut apprendre à croire en soi pour pouvoir s’en sortir. La vie m’a donné une seconde chance pour me permettre de continuer à avancer, confie-t-elle. Je veux continuer à faire des conférences un peu partout pour parler de la vie, parler de comment on s’en sort. Donner un peu de lumière, car les gens ont tellement besoin de lumière. »

Que signifie pour elle être autochtone en 2022, à l’heure où plusieurs vérités difficiles font surface et ébranlent le pays?

« C’est d’être fière de ce que je suis, d’être capable de montrer que je suis un Innu, un être humain avant tout. Innu veut dire être humain. Être capable de parler calmement aussi, d’expliquer les choses, de montrer mon savoir-faire. D’être honnête partout où je vais, de prier. Je souhaite que les jeunes qui prennent la parole le fassent calmement et non dans la révolte. »

C’est en se rendant souvent en forêt avec les aînés qu’elle a compris l’importance de la transmission. Celle des savoirs et du savoir-faire. De la langue aussi, elle qui parle le français et l’innu. « J’essaie de transmettre ce que je sais à mes petits-enfants, mes deux petits-fils qui sont ma fierté, poursuit-elle. Qu’ils puissent dire que leur grand-mère leur a laissé quelque chose. Je transmets : pour moi l’héritage, c’est cela. »