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Famille

Les réseaux sociaux s'emparent dangereusement de la génération alpha

L'arrivée de la génération alpha, ces jeunes nés après 2010, coïncide avec une omniprésence des écrans et des réseaux sociaux dans nos vies.

Ces jeunes, des enfants aux ados, sont exposés très tôt aux écrans et si ces outils offrent des opportunités, ils soulèvent également de vives inquiétudes quant à leur impact sur le développement de nos enfants.

Ariane Hébert est titulaire d’une maîtrise en psychologie à l’Université du Québec à Trois-Rivières et d’une scolarité doctorale à l’Université de Montréal. Elle nous éclaire sur les enjeux cruciaux de cette réalité.

Commençons par s’offrir des bases, en jetant un coup d’œil à l’accès aux écrans. Que nous disent les statistiques comparativement aux recommandations chez les tout petits et chez les plus vieux?

L’accès à un écran chez les tout petits

Il est évident que le temps-écran chez les jeunes d’âge préscolaire est beaucoup trop élevé.

Entre 2 et 6 ans, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'INSPQ affirme qu’un enfant ne devrait pas dépasser une heure de contenu supervisé par jour, donc écouté avec un parent. Et c’est une grande majorité qui dépasse largement ça.

Une étude menée en 2023 par la professeure Caroline Fitzpatrick et ses collègues à l’Université de Sherbrooke et publiée dans le journal médical Pediatric Research dévoilait que les enfants de 3,5 à 4,5 ans passaient en moyenne 3,46 heures devant des écrans par jour. On est bien loin de l’heure prescrite.

La psychologue Ariane Hébert affirme toutefois que les parents prennent de plus en plus conscience de l’importance de mettre en place des balises:

«Les recommandations de l’OMS commencent à porter ses fruits, on voit que les gens sont plus alertes par rapport à ça, et c’est documenté qu’il y a une baisse.

Évidemment, la fin de la pandémie a amené cette baisse-là aussi, mais ça reste que statistiquement c’est une majorité qui dépasse cette heure-là par jour.»

Statistiquement c’est une majorité qui dépasse cette heure-là par jour [de temps écran]. - Ariane Hébert, psychologue.

Les enfants et les préados

À partir de 6 ans, l’OMS, mais aussi le Gouvernement du Québec parle à titre d’exemple d’un maximum 2h par jour, mais reste plus flexible.

La psychologue Ariane Hébert précise: «ce qu’on va plutôt évoquer comme recommandation, c’est de dire "est-ce que toutes les autres activités qui visent le bon développement de l’individu ont été réalisées dans la journée?"

Est-ce que l’enfant est allé dehors, a joué avec des amis, a socialisé, est-ce qu’il s’est éduqué, est-ce qu’il a lu, est-ce qu’il s’est reposé, est-ce qu’il a mangé?

Si tout ça est coché, on peut lui donner du temps d’écran. Donc c’est un peu plus flexible et adaptatif pour faire face à notre réalité maintenant. L’idée à la base c’est de dire que c’est un divertissement de dernier recours.»

Accès au téléphone et aux réseaux sociaux

Les données sont frappantes concernant la présence des jeunes en ligne.

Une étude menée durant la pandémie par HabiloMédias en 2022 révèle que c’est 77% des jeunes ont leur propre téléphone, reçu en général entre 11 et 13 ans.

De plus, 86% des jeunes de 9 à 11 ans ont un compte sur au moins une plateforme sociale exigeant pourtant que les utilisateurs soient âgés de 13 ans et plus.

Une question de balance 

Évidemment que la réalité de parent est complexe et que le but n’est pas de couper totalement l’accès à un jeune qui pourrait vivre un sentiment d’exclusion. Cet aspect représente d’ailleurs une difficulté supplémentaire.

Donc en gros, la solution se trouve dans l’équilibre.

Si toutes ses interactions sociales passent par les réseaux sociaux, tu devrais avoir une lumière qui allume. - Ariane Hébert, psychologue.

Ariane Hébert renchérit: «je reprendrais l’OMS dans le sens où si tu sens que ton jeune a joué avec ses chums, qu’il dit "oui" quand les copains viennent cogner à la porte, c’est tu bien grave qu’il fasse ¾ d’heure d’écran?

Mais en même temps, on doit s’assurer qu’il ne tombe pas dans cet univers-là pour combler ses besoins d’une façon qui va brimer son développement harmonieux. Donc si toutes ses interactions sociales passent par les réseaux sociaux, tu devrais avoir une lumière qui allume, ce n’est pas normal et ce n’est pas souhaitable.»

Les médiums les plus populaires

Les statistiques démontrent que le téléphone, suivi de près par l’ordinateur, sont les médiums de prédilection des jeunes.

Ce qu’ils vont beaucoup utiliser, c’est TikTok et YouTube pour écouter des vidéos, c’est ce qui prend le plus de place principalement chez les filles.

Chez les garçons, c’est nez à nez avec les jeux vidéo. Sinon, ils vont utiliser leur appareil pour communiquer par texto.

Selon la phase IV de l’étude sur la vie en ligne d’HabiloMédias, voici les cinq plateformes les plus populaires chez les jeunes.

L’effet néfaste des réseaux sociaux

L’accès aux réseaux sociaux, TikTok en tête, n’est pas sans conséquence. La doctorante de l’Université de Montréal Ariane Hébert explique: «On voit vraiment l’influence [des réseaux sociaux] sur la santé mentale dans les 10 dernières années, l’impact que ça a eu.

Malheureusement en psychologie, on n’est pas capables de faire des liens de cause à effet. On n’est pas capables de dire que c’est SÛR que c’est ça. Mais il y a des corrélations tellement fortes que tu te dis qu’un moment donné il faudrait être fou pour ne pas voir le lien.»

On voit vraiment l’influence [des réseaux sociaux] sur la santé mentale dans les 10 dernières années, l’impact que ça a eu. - Ariane Hébert, psychologue.

Évidemment que d’être exposé à des contenus montrant par exemple des corps parfaits, ça fausse les critères.

Les jeunes sont exposés à des contenus idéalisés de façon continuelle et ils n’ont pas nécessairement la maturité pour se dire qu’il y a autre chose que ça, ce qui fait en sorte que ça devient très prenant dans leur tête et dans leur esprit.

Comment les aider à se démêler dans tout ça?

Il n’y a pas de solution miracle pour aider les jeunes à s’y retrouver.

L’accompagnement de visionnement est ultra important; les discussions sur ce qu’ils ont vu et ce à quoi ils sont exposés. - Ariane Hébert, psychologue.

Pour Ariane Hébert, la clef est toutefois dans la constance. «C’est vraiment à force d’en discuter de façon fréquente et soutenue pour qu’ils prennent conscience [de l’aspect insidieux des contenus].

De regarder des choses avec eux aussi. Ce support-là, l’accompagnement de visionnement est ultra important; les discussions sur ce qu’ils ont vu et ce à quoi ils sont exposés.

Même chose pour la désinformation. Si on n’en parle jamais, le jeune ne saura jamais qu’il est bombardé de désinformation, et son algorithme va continuer de lui présenter toutes les mêmes informations qui vont dans le même sens, donc ça va juste consolider leur façon de voir les choses.»

Troubles du sommeil

Beaucoup de gens connaissent l’aspect «lumière bleue» des écrans qui envoie des signaux similaires à ceux du soleil au cerveau et qui donc, retarde la production de mélatonine.

Mais ce n’est pas la seule raison qui fait en sorte que le téléphone ou l’accès à des écrans trouble la qualité du sommeil.

Ariane Hébert confie: «ce à quoi les jeunes sont exposés [sur leurs appareils] peut générer beaucoup de sensations fortes qui ne sont pas des facilitateurs de l’endormissement.

Dans la nuit aussi, ça peut causer des réveils nocturnes, donc un sommeil fragmenté.

Tout ce qui est "réseaux sociaux" crée aussi un FOMO (Fear of Missing Out) et ça aussi ça va venir jouer sur le sommeil. Parce que si je ne suis pas disponible pour voir le nouveau texto ou la nouvelle publication, ou le cossin qui vient d’apparaître, je manque quelque chose. Donc je suis aussi bien de dormir avec mon cellulaire à côté de moi.»

Elle affirme d'ailleurs que les études démontrent que les jeunes qui ont accès à leurs écrans dans leur chambre dorment 45 minutes de moins par nuit, ce qui équivaut à une nuit par mois et plus, en moins.

Et si l’on se fie à la Phase IV de la vie en ligne d’HabiloMédias mentionnée plus tôt, ce serait 80% des jeunes qui garderaient leur téléphone dans leur chambre la nuit.

La psychologue rappelle d’ailleurs que le sommeil permet de consolider les apprentissages et faire le ménage du système limbique, des émotions. «Donc tout ça sur la santé mentale, ce n’est pas indépendant.»

Prédateurs en ligne

Les prédateurs sont un autre aspect que les parents doivent garder en tête, surtout considérant le fait que les plaintes et signalements reçus par le Centre national contre l’exploitation des enfants a reçu 118 162 plaintes entre 2023 et 2024, soit 15% de plus que l’année d’avant.

Cette accessibilité-là à un «marché potentiel» pour les prédateurs est inquiétante et les jeunes ont beaucoup de mal à reconnaître les signes et se protéger de ça. Ça rend donc la vigie des parents primordiale.

Ariane Hébert rappelle de souvent vérifier qui sont leurs amis, s’ils les connaissent en vrai et qui ils autorisent sur leurs réseaux.

D’ailleurs, le rapport d’HabiloMédias avance que 62% des jeunes ont déjà parlé à une personne en ligne qu’ils n’ont jamais rencontrés en personne: une donnée qui confirme l’importance de monitorer de façon assidue.

La consommation et la surconsommation liée aux écrans

Selon les observations d’Ariane Hébert, l’exposition à des marques a un impact sur les jeunes et leur désir de consommer.

Évidemment, les produits vantés par telle ou telle influenceuse se retrouvent rapidement parmi les envies d’un ou d’une jeune.

Mais comment minimiser les impacts des écrans chez les jeunes, alors?

Ariane Hébert invite d’abord à respecter les normes d’exposition aux écrans et elle ajoute de ne pas se faire confiance et de ne pas faire confiance aux enfants.

Elle précise: «même avec les meilleures intentions, la meilleure volonté, on se fait prendre en tant qu’adulte, à trop consommer, à trop être là-dessus…

Donc même si on sent que c’est un jeune qui est mature, qui veut bien, cet encadrement parental est toujours nécessaire et de faire le screening du contenu consommé.

"À qui tu parles, quels sont les sites que tu consommes?" Et laisser l’ouverture pour venir en jaser.

Tout ça est beaucoup de communication et d’enseignement, plus de que du contrôle, mais il ne faut quand même pas délaisser le contrôle.»

Donc même si on sent que c’est un jeune qui est mature, cet encadrement parental est toujours nécessaire. Et de faire le screening du contenu consommé. - Ariane Hébert, psychologue

Les bons côtés: accès et protection

En contrepartie, les réseaux sociaux offrent aussi des aspects positifs aux jeunes. Pour les adolescents, ça peut être un outil de maintien du lien social.

Les réseaux sociaux peuvent faciliter la communication et le sentiment d'appartenance à un groupe.

Ça permet par exemple d’aller rejoindre une communauté qui serait autrement inaccessible, par exemple liée à une maladie rare, à un passe-temps particulier, à une caractéristique précise moins présente dans la région du jeune.

Ça peut permettre de connecter et d’échanger, d’obtenir des conseils, même.

Les bons côtés: la notion de protection, mais encore...

Le téléphone permet dans un autre temps d’avoir accès aux jeunes lorsqu’ils ne sont pas à la maison. Mais Ariane Hébert émet toutefois un petit bémol, rappelant qu’il y a quelque chose d’insidieux dans la notion d’être toujours joignable et localisable.

Donc oui, pour la sécurité, mais il ne faut pas tomber dans la surprotection.

En conclusion, l'emprise des écrans et plus spécifiquement des réseaux sociaux sur la génération alpha est une réalité complexe qui nécessite une vigilance et un engagement parental actifs.

En comprenant les risques et les avantages, et en mettant en place un encadrement adapté, les parents peuvent aider leurs enfants à naviguer dans le monde numérique de manière plus saine et équilibrée.

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