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À l’occasion de la Semaine de la santé mentale, l’Association canadienne pour la santé mentale a eu envie d’inviter les gens à se montrer tels qu’ils sont, sans masque.
C’est un défi de taille et fort intéressant à une époque où la perfection domine sur les réseaux sociaux. Photos retouchées, vies de rêve, bonnes nouvelles à la chaîne; la vraie vie est bien plus complexe et difficile. Le masque social est le reflet d’une société en quête d’acceptation. Il s’installe afin de camoufler ce qui ne va pas en ligne, mais aussi dans nos échanges quotidiens, en personne. Cette façon de dissimuler ce que nous croyons être des faiblesses, peut avoir un impact destructeur et changer notre rapport à nous-mêmes et aux autres.
Comment faire pour baisser notre masque et montrer notre vulnérabilité? Est-ce possible?
Dans une entrevue captivante, nous avons recueilli les conseils de Marc-André Dufour, psychologue clinicien, chroniqueur et auteur.
Sans détour, il s’exprime sur l’effet insidieux des réseaux sociaux sur la confiance en soi et l’importance d’accueillir ses émotions, quelles qu’elles soient. Marc-André Dufour nous invite à revisiter notre usage du virtuel et à questionner l’authenticité derrière chaque publication. Un entretien qui vous donnera envie de voir ceux que vous aimez pour jaser longtemps de ce qui compte vraiment.
«Si une personne ne montre que le beau sur les réseaux sociaux parce qu'elle a besoin d’approbation et de valorisation, mais que dans sa vie personnelle, dans ses relations plus intimes avec ses amis, en couple, etc., elle se montre sous son vrai jour, avec vulnérabilité et qu'elle est capable de demander de l’aide, ça ne m'inquiète pas particulièrement.
Ce qui m'inquiéterait, c’est une personne qui présente une image idéalisée dans les médias sociaux, mais qui, dans sa vie personnelle, cherche à atteindre le même niveau. En ayant une version idéalisée de soi-même avec laquelle on se compare, on n’arrive pas à être à la hauteur. Et si notre version dans les médias sociaux est vraiment parfaite, que tout ce qu'elle fait lui réussit, et qu’on s'attend à ce que ça soit la même chose dans la réalité, c'est ce décalage qui risque d'être épuisant. Si l’on veut correspondre à cette image-là et qu’en réalité, on ne va pas bien, il se peut que nous préférions nous isoler par honte de ne pas être à la hauteur de notre image publique
Aussi, je m'inquiète de la personne qui regarde le contenu idéalisé et qui n'a pas toujours nécessairement en tête le fait que c'est une réalité augmentée du bonheur. Quand tu regardes ta propre existence, que tu as de la misère à faire ton épicerie puis à nourrir tes enfants, que tu as l'impression que tout le monde a une vie parfaite, tu regardes la tienne et tu te dis 'Ma vie est vraiment plate comparée à la leur’. Avec le temps, cette comparaison négative peut affecter l’estime de soi. Il faut constamment faire preuve d’un esprit critique face à tout ce que nous voyons en ligne.»
«Rationnellement, on sait que la vie des autres est idéalisée sur les réseaux sociaux. La plupart des gens en sont conscients. Toutefois, émotionnellement, si l’on se compare quand même, ça nous fera mal quand même.
L'idée est d'essayer de réinvestir davantage notre vie personnelle et nos relations réelles. Ces relations vont être plus satisfaisantes, plus nourrissantes. Si notre meilleure amie publie de super belles affaires, mais qu'on le sait qu'elle ne va pas bien, on arrive mieux à départager ces univers-là et à s’encrer dans la réalité.
Ça dépend aussi du nombre d'heures qu'on peut passer sur le Web. Par exemple, si notre version de la réalité c'est 75% de ce qui se passe en ligne, c’est un peu plus facile de finir par considérer que c'est ça, la réalité.
Le truc est de rééquilibrer les choses, de reprendre contact avec nous-mêmes. Les êtres humains, on a vraiment besoin les uns des autres. C’est viscéral. Lorsqu’on est en détresse, tout seul, s'il y a une personne dans la réalité qui est présente, qui est attentive, qui dit 'Je te vois, je t'entends dans ce que tu vis', ça nous procure un apaisement, et les hormones qui vont être sécrétées font en sorte qu'on se sent déjà mieux.
Donc, il faut franchir cette frontière et se dire que c'est beau le virtuel, mais il n'y a rien qui peut faire autant de bien que la réalité.
Puis, il y a l'accompagnement vers des ressources et de l'aide. Il y a des premiers pas qui peuvent se faire en ligne. On peut clavarder, par exemple, avec suicide.ca. Cela peut aider énormément une personne qui aurait des idées suicidaires. Souvent, les intervenants vont trouver une manière de faire en sorte que la personne appelle au téléphone, ce qui permet de passer à un autre niveau relationnel. L’emprise bienveillante, lorsqu’on veut aider quelqu’un, sera toujours plus forte quand on arrive à passer du côté du réel.»
C'est beau le virtuel, mais il n'y a rien qui peut faire autant de bien que la réalité. - Marc-André Dufour, psychologue clinicien, chroniqueur et auteur.
«J'ai écrit un livre qui s'appelle Se donner le droit d'être malheureux et l'idée centrale, c'est un justement d'arriver à décrocher de cette question d'image, de réussite, de performance, de bonheur. Parce que quand on regarde notre vie et que ça ne correspond pas à ça, eh bien non seulement c'est plate, parce qu’on n'a pas d'argent, on ne peut pas sortir, on ne peut pas manger dans les restos. Mais en plus, et ça, c'est encore pire, on a honte, on se juge. C'est le regard qu'on porte sur nous-mêmes qui peut nous donner l'impression que notre vie est un échec. Et ce regard-là, il fait encore plus mal.
Il serait génial d'arriver collectivement à sortir un peu du modèle culturel qui dit que la réussite, c'est "La vie des gens riches et célèbres". Parce que ça ressemble à ça avec la surconsommation de matériel, les voyages, etc. Mais est-ce que c'est vraiment ça la réussite? Au niveau environnemental, ça n’aurait aucun sens s'il fallait que chaque être humain sur la planète ait un mode de vie comme celui-là. Collectivement, ce n’est pas viable, et ce n’est pas viable aussi parce que ce n'est pas la réalité.
Il est préférable de se comparer avec des gens qui nous ressemblent, sans se juger. Par exemple, si l’on passe du temps avec une personne avec qui on s'entend bien qui partage nos valeurs, qu’on étudie dans un domaine qui nous parle, eh bien on mange peut-être du macaroni en boîte, mais on est en contact avec nos valeurs. Notre vie a un sens, on est entouré. C’est plus important que la mise en scène d'une espèce de bonheur plus, j'oserais dire, matérialiste.»
«On ne veut pas être jugés, on ne veut pas être rejeté. On peut croire que pour être aimé, il faut correspondre à une image de réussite, à une image de bonheur. On baigne aussi dans une culture très individualiste du mieux-être. Il y a un discours commun qui dit que tu peux choisir le bonheur et que c'est une question de volonté. Et là, on écarte totalement toute la question des inégalités sociales et que ce n’est vraiment pas tout le monde qui a la même trajectoire. C'est absolument faux de dire que tout le monde a la même chance dans la vie. Mais il y a des personnes qui tiennent beaucoup, beaucoup ce discours-là. Dans ce contexte, par exemple, si je ne vais pas bien, si je suis déprimé, si je viens de perdre mon emploi, eh bien dans une culture individualiste qui tient ce genre de discours, ça veut dire quoi? Ça veut dire que c'est moi le problème. Et ça, ça fait vraiment mal. Ça ne donne pas le goût de se montrer vulnérable, que ce soit en ligne ou dans notre vie personnelle.
Quand l'Association canadienne pour la santé mentale m'a parlé du slogan Agir pour une santé mentale sans masque, je le trouvais hyper pertinent dans le contexte actuel. D'un autre côté, je me disais, "Je ne demanderais pas à un gardien de but d'enlever son masque en plein milieu d’une partie." Tu peux recevoir des rondelles dans le visage à 100 kilomètres à l’heure. C'est bien de dire aux gens de se montrer vulnérables, mais si l’on fonctionne dans un système social ou dans une réalité qui a de la difficulté à tolérer la différence et la vulnérabilité, ça ne donne pas envie d’enlever son masque. Donc au niveau social, il faut qu'on revienne à dire que les épreuves, la tristesse, ça fait partie de la vie.»
Je dis souvent que pleurer quand c'est triste, c'est comme rire quand c'est drôle. Il n'y a pas d'émotion négative. - Marc-André Dufour, psychologue clinicien, chroniqueur et auteur.
«Je dis souvent "Pleurer quand c'est triste, c'est comme rire quand c'est drôle". Il n'y a pas d'émotion négative. Il y a des émotions qui font mal, certes, des émotions désagréables, mais un peu comme la douleur physique quand on a mal quelque part, c'est pour attirer notre attention. C'est pour dire qu’il y a quelque chose qui ne va pas. S'il n’y avait pas cette douleur, on pourrait se blesser davantage.
Sans même parler, depuis la préhistoire, on ressent la tristesse de l'autre grace aux neurones miroirs qui permettent notre empathie. On va avoir le réflexe d’aller vers l'autre pour voir ce qui lui arrive. C'est en étant ensemble, en prenant soin les uns les autres, que l’on peut évoluer.
Si l’on se transpose aujourd'hui, même quand on ne va pas bien, il faut avoir l'air de bien aller. D’abord, on se prive d’une information, parce que les autres ne s'en rendront pas compte. Si l'on se permettait plus d'être en contact avec notre propre détresse, notre propre vulnérabilité, notre propre tristesse, nous serions plus confortables avec celle des autres. Parce que si nous-mêmes, on ne tolère pas notre vulnérabilité, l'angoisse, les déprimes passagères, et qu'on cherche toujours à s'occuper, à faire des projets, à magasiner, à faire un voyage, notre seuil de tolérance sera possiblement le même pour les autres.
Mais si on s'arrête, qu'on accueille cette vulnérabilité en se disant que c’est parfaitement normal et que ça fait partie de la vie, eh bien soudainement quand on a un ami qui ne va pas bien, on sera davantage capable de l'accueillir. Ça va moins nous heurter, parce qu'on est nous-mêmes capables d'entrer en contact avec nos émotions. On va être moins porté à donner des conseils trop rapidement comme lui dire de faire du yoga, de prendre un bain ou d’aller courir… Ce n'est pas si simple que ça.
Prenons d’abord le temps d’écouter l’autre avant de lui proposer des solutions. Certains disent que le bonheur est comme le sucre à la crème: "si tu en veux, tu as juste à t’en faire". Mais encore ici, la réalité est plus compliqué que ces pensées positives. Parfois, on n'a simplement pas les ingrédients qu'il faut. L’idée est de sortir de ce discours-là pour normaliser les épreuves et la difficulté.»
«Il faut développer son esprit critique. Prenons pour acquis que ce que nous voyons sur les réseaux sociaux, c’est une version qui est idéalisée. On peut le voir comme une forme de divertissement. Si on écoute un film de fiction et qu’on voit un décor paradisiaque, on le sait que c'est un film. On trouve ça beau, on s'émerveille.
Les réseaux sociaux, c’est un peu comme une téléréalité. Ça ressemble à une fiction, mais c'est vrai. Il y de la mise en scène, et il faut en prendre conscience.
De plus, il est essentiel de connecter avec nos valeurs les plus profondes. On n'a pas beaucoup de discussions sur ce genre de sujets. Sur les réseaux sociaux, plusieurs personnages publics font l’apologie d’un mode de vie basé sur la richesse, l’image, les divertissements luxueux et la consommation. Au fond, plus profondément, il faudrait revenir à ce qui est important pour soi dans la vie et se demander comment faire en sorte que notre vie soit bien orientée avec nos valeurs profondes.
Et avoir des conversations avec des amis proches, idéalement en vrai, sur des choses fondamentales, sur qui l’on est vraiment. Quand on ose se montrer vulnérable, souvent, ça permet aux autres de pouvoir le faire. C'est un peu la morale de l’histoire. Quand on s’ouvre, on vient se souder, on devient plus fort et ça nous protège. Ça augmente notre résilience. Puis une fois qu'on a goûté à ça, on se rend compte des bienfaits que cela peut nous procurer.
C’est facile d’avoir une relation avec un écran: il n’aura pas d’attente envers nous. C’est moins compliqué que les êtres humains. Si l’on se rend au point où l’on est moins à l’aise avec la réalité, qu’on se réfugie derrière l’écran, qu’on ne veut plus appeler au téléphone ou voir des gens en personne, ça doit être un petit signal d'alarme dans le tableau de bord. C’est le moment de reprendre contact, d’oser s’ouvrir avec des personnes que vous aimez et qui vous aiment en retour.»
En conclusion, Marc-André Dufour rappelle l’importance de prendre soin de sa santé mentale, même si l’on va bien. De la même manière qu’on a une bonne alimentation qu’on bouge pour prendre soin de notre santé physique, il faut aussi prendre soin de notre santé mentale et se rappeler que ce n'est pas vrai, que tout va bien tout le temps et que l’on réussit tout le temps.
Pour poursuivre votre réflexion, vous pouvez plonger dans le livre Se donner le droit d’être malheureux du psychologue clinicien et auteur Marc-André Dufour.
Ce dernier vient également de publier un deuxième ouvrage, Comment garder espoir dans un monde en crise?, en mars dernier.
Un livre peut-il sauver des vies ?
Voilà une des questions que Marc-André Dufour se posait en écrivant cet ouvrage… Un livre à lui seul n'a pas cette capacité. Par contre, changer notre regard sur les émotions douloureuses, la vulnérabilité et la demande d'aide influencerait peut-être favorablement la suite de notre existence et celle de nos proches.
Un livre peut-il sauver le monde ?
Un ouvrage à lui seul n'a pas ce pouvoir. En revanche, accepter de regarder les faits et accueillir les émotions douloureuses qu'ils suscitent nous permettrait peut-être d'identifier des moyens de retrouver la foi en l'avenir, en l'humanité et en nous-même.