Un policier se confie : amendes pour les rassemblements, défis du quotidien, délation
« Au début, les gars tombaient comme des mouches ».
Éric Labad est sergent-superviseur de quartier. Il gère une équipe de travail de 11 policiers dans le district de Montréal-Est Pointe-aux-Trembles, en plus de se rendre sur le terrain afin de s’assurer que tout soit fait selon les normes et les pratiques.
Alors qu’il « voyait les policiers tomber comme des mouches » et le matériel adéquat manquer au début de la pandémie, il se dit soulagé de voir que tout va mieux pour lui et ses hommes.
Rencontre avec un travailleur essentiel de première ligne.
Du matériel à utiliser avec parcimonie
Superviseur depuis 2 ans, Éric Labad en est à sa 21e année de service en tant que policier à Montréal. Une 21e année qui a pris un tournant pour le moins inattendu avec l’éclosion de la COVID-19.
« Notre plus grand défi en ce moment, c’est la proximité avec les gens », raconte-t-il. « Car notre travail, c’est cela, aller chez les gens. Et évidemment, on n’est jamais appelé quand ça va bien. Il faut changer notre manière de fonctionner et il faut entrer cela dans la tête des policiers qui sont habitués de se rendre à la porte et de jaser avec les gens ».
« Là, nous devons y aller de façon beaucoup plus sécuritaire. On communique maintenant par téléphone avec les gens pour leur demander de venir nous raconter leurs histoires (qui sont moins urgentes) à l’extérieur. On essaie de faire beaucoup plus de démarches avant d’entrer quelque part. On essaie de limiter les contacts, car on ne sait pas s’il y a des gens infectés quand on arrive quelque part. On respecte la distanciation sociale le plus possible et quand on n’a pas le choix d’intervenir - par exemple lors d’une arrestation -, c’est à nous de nous équiper avec… et bien, pas grand-chose ».
Masques, gants et lunettes protectrices : voilà ce qui forme le trio de matériel servant à protéger les policiers sur la route.
« Au début, nous n’avions pas assez de masques, donc on ne pouvait pas en porter lors de chaque appel », ajoute celui qui, lors d’événements majeurs, devient commandant de scène. « On n’était pas nécessairement outillé pour ce qui se passait. Tranquillement, cela s’est amélioré, car on a reçu des masques N95 et des masques de procédure. On a maintenant assez d’équipement, mais il faut en faire un usage judicieux pour ne pas en manquer. On ne les utilise que lorsqu’il y a possibilité de risques (contact, personne infectée…). On a des procédures claires ».
Depuis le début de la pandémie, 8 policiers de son poste ont été contaminés ou ont dû être mis en quarantaine, puisqu'ils ont été à risque d'être infectés lors d’interventions. Par exemple, lors d’une certaine arrestation de violence conjugale, les policiers ont appris que l’homme en question était atteint de la COVID.
« Ils sont tombés en quarantaine, nous avons dû faire décontaminer les voitures, tout l’équipement ainsi que les radios qui sont utilisés par tous les gens du poste ». Les policiers sans symptômes sont revenus au travail à la fin de leur quarantaine.
Éric se dit chanceux d’avoir maintenant tous ses policiers avec lui, malgré le fait que 3 groupes de travail sur 5 à son poste aient été touchés de près ou de loin par la pandémie (absentéisme de policiers en quarantaine ou de retour de voyage, infection, etc.) Plusieurs autres postes ont été plus durement touchés.
« Au début, on avait plus peur, car c’était de l’inconnu, comme pour tout le monde. Mais là, on s’est adapté et on s’est habitué. Dans les premières semaines, il y a eu plus de cas de policiers infectés, mais cela a ensuite diminué. Nos actes de prévention font en sorte qu’il y a moins de personnes qui sont touchées qu’au début. Au début, les gars tombaient comme des mouches et on se disait qu’on allait se retrouver 40 sur 100 à travailler, mais finalement, ce n’est pas cela qui est arrivé ».
Avertissements, amendes et respect des consignes
Difficile de discuter avec un policier sans aborder le fameux sujet des amendes émises aux gens ne respectant pas les mesures de distanciation et de confinement. Sans surprise, celui-ci parle de bon jugement, de tolérance et de cas par cas lorsqu’il est question de la remise de billets d’infraction ou de simples - mais sérieux - avertissements. Un peu comme cela est le cas pour les infractions au Code de la route.
« Des avertissements et des amendes, oui on en a donné », dit-il. « Mais il faut faire la différence entre ce qui est demandé par le gouvernement et ce qui est légalisé. Le décret dit qu’on n’a pas le droit de faire des rassemblements et d’être à moins de 2 mètres dans un endroit donné, dans une résidence ou dans un parc. Si on arrive quelque part et qu’on a déjà eu 2 ou 3 appels pour cet endroit dans les dernières semaines - et que les policiers ont donné des avis - on va être moins tolérant. Il faut se servir de notre jugement. S’il y a 2000 personnes dans un parc et qu’on n’est que 5 policiers, on ne fera pas de miracle : on va expulser les gens du parc, mais on ne pourra pas émettre 2 000 billets ».
Les amendes pour le non-respect des consignes sont celles-ci :
- 1546$ pour un adulte (comprenant les frais);
- environ 560$ pour les adolescents âgés de 14 à 18 ans;
- les jeunes de 14 ans et moins ne peuvent recevoir de billets, un enfant ne pouvant pas être accusé en vertu d’une loi provinciale.
« Plus les semaines avancent, plus les gens sont au courant des règles, donc il y a de moins en moins de tolérance. Au début, les gens nous disaient "On ne le savait pas", mais là, il n’y a plus de raison de répondre cela. Même chose pour les entreprises ouvertes qui ne devraient pas l’être ».
« Le but à atteindre n’est pas d’augmenter le nombre de constats qu’on va donner, assure-t-il. Le but est de faire freiner cela et de faire en sorte que le monde comprenne ».
Selon le décret, deux personnes se déplaçant d’un point A à un point B dans une même voiture, mais ne vivant pas à la même adresse ne pourraient recevoir d’amende. « Par contre, s’il y a un rassemblement dans une cour de restaurant, de gens qui sont chacun dans leur voiture et qui jasent ensemble, même s’ils sont chacun dans leur véhicule, ils sont tout de même en train de se rassembler, car ils sont là sans but », prévient-il.
Les appels les plus courants ou ayant enregistré la plus grande augmentation en ces temps de pandémie? Ceux de violence conjugale ou domestique et de querelles familiales. De nombreuses tentatives de suicide aussi, chez des jeunes et des gens que l’isolement font malheureusement craquer. La détresse des gens atteints de troubles de santé mentale aussi.
Et beaucoup, beaucoup, de délation. Surtout au début de la crise, lorsque les règles étaient moins claires.
« On en a eu de toutes les sortes. C’est incroyable! Il y a le volet résidentiel où, par exemple, deux voisins qui se détestent (pour des histoires qui sont arrivées avant) vont dénoncer l’autre pour un peu n’importe quoi. Puis le volet commercial où, par exemple, deux garages automobiles (qui au début, avaient une tolérance pour travailler pour les travailleurs de services essentiels) téléphonent pour se dénoncer l’un l’autre ».
Heureusement, qui dit moins de gens sur la route et à l’extérieur dit moins de criminalité et moins d’accidents de la route.
Éric Labad se dit plutôt surpris par la discipline des gens : « C’est sûr qu’il y a des récalcitrants, comme dans n’importe quoi, mais si je me compare à d’autres secteurs, je me console. On a fermé nos parcs, on a fait des recommandations et cela a pas mal été respecté ».
« Je n’ai pas plus peur d’attraper la COVID que d’avoir un accident d’auto », avoue celui qui prend un soin jaloux à se déshabiller dans le garage au retour du travail, à laisser son uniforme dans un sac pendant un ou deux jours, à prendre sa douche illico et à n’avoir aucun contact avec sa mère âgée qui vit sous son toit, ni avec ses enfants lors de ses premiers jours de congé afin d’éviter la transmission.
« C’est sûr qu’il y a des mesures à prendre et je les prends, mais je n’ai comme pas vraiment le choix ».