À 42 ans, Yann Poulin a fait un changement de carrière pour devenir préposé aux bénéficiaires. À la suite de l’appel de François Legault, il a troqué son poste de soudeur des 20 dernières années pour compléter la formation lui permettant de travailler en CHSLD.
Un changement de carrière stimulant comportant son lot de défis, particulièrement en temps de crise mondiale.
Changer de vie pour aider
Le travail de soudeur qu’il accomplissait presque les yeux fermés depuis plus de deux décennies, Yann Poulin le voyait comme un « travail alimentaire qui payait les factures », sans plus. Voilà pourquoi celui qui avoue avoir toujours eu le désir d’aider les gens s’est senti interpellé lorsque le premier ministre a demandé l’aide de la population lors de la première vague de COVID-19.
Cette formation payée lui a permis de prendre un congé sans solde de trois mois à son ancien travail afin de plonger dans un autre, plus valorisant et qui lui ressemblerait davantage. La professeure de son groupe de 22 futurs préposés âgés de 22 à 60 ans était une gentille infirmière auxiliaire devenue enseignante en ces temps de pandémie. Un « super beau groupe qui travaille maintenant au même CHSLD, mais sous des horaires différents », affirme Yann qui garde le contact avec ses nouveaux amis à l’aide des réseaux sociaux.
Cette formation comportant 8 chapitres et autant d’examens théoriques que pratiques lui a permis d’apprendre les bases du métier de préposé aux bénéficiaires, dont le RCR, le PDSB (pratique de déplacement sécuritaire de bénéficiaire), les premiers soins, etc. Sur trois mois, deux de ceux-ci furent sous forme de stage au CHSLD même où il travaille depuis qu’il a complété avec succès la formation.
Quatre jours après avoir réussi son examen final, Yann a commencé à travailler en CHSLD. « Oui, j’avais des appréhensions envers les autres préposés qui sont mieux formés et qui ont fait une formation bien plus longue que la mienne », admet-il. « Mais finalement, ça s’est super bien passé. »
Deux jours d’orientation en compagnie d’un autre préposé lui ont permis de mieux connaître l’étage où il allait travailler. Puis, ce fut le début du vrai travail avec les résidents.
« La plupart ne sont pas autonomes », explique-t-il. « Ils sont en chaise roulante, on les déplace à l’aide de lève-personne. Sur mon étage, deux résidents sur 35 sont autonomes. Beaucoup sont aphasiques, donc je ne peux pas vraiment avoir de discussion avec eux. Je les aide à manger, à se laver et je les change, car ils ne peuvent rien faire par eux-mêmes. Mon rôle est de les accompagner dans leur vie. »
David Pereiras/Shutterstock
Commencer en CHSLD en temps de COVID
Dans son nouveau travail, Yann aime un tas de choses. « Le côté humain que je ne veux pas perdre, car je vois que certains préposés ont plus l’air de faire du travail à la chaîne », confie-t-il. « J’essaie de parler aux résidents, même s’ils ne me répondent pas. Je leur dis tout ce que je fais pour qu’il le sache, pour garder le côté humain. J’essaie d’être là pour eux et de les désennuyer, même si on n’a pas beaucoup de temps pour cela. Les mettre bien et confortable malgré leur situation. Leur rendre service. C’est la beauté de la chose avec ce travail. »
En ces temps de COVID, le travail de Yann a rapidement pris une tournure différente et… stressante. Il travaille dans une zone chaude depuis plus d’une semaine. Car dans le CHSLD dans lequel il travaille, il y a eu une éclosion de COVID-19 : 20 travailleurs et 16 résidents ont jusqu’ici été infectés. Des résidents infectés ont été envoyés à l’hôpital et en sont revenus, 4 se trouvent sur respirateur oxygène, 4 autres sont décédés et 2 sont en ce moment en fin de vie...
« Les gens en fin de vie ont droit de recevoir un membre de leur famille », explique-t-il. « Les autres résidents - infectés ou non - ont aussi droit (en temps de COVID) de recevoir un proche aidant qui doit porter le même équipement que nous dans la zone chaude et le masque de procédure obligatoire dans tout l’immeuble. Mais je réalise qu’il n’y en a pas beaucoup. La plupart des résidents sont seuls, ils n’ont personne. Même sans la COVID, les visites sont très rares... »
David Pereiras/Shutterstock
Est-il inquiet des risques d’être infecté au travail depuis qu’il travaille en zone chaude? « Je n’ai pas peur, lance-t-il. Oui, je suis très à risque, mais je dois me faire tester tous les 5 jours, je porte mon espèce de jaquette d’hôpital qui ne respire pas (rires) et que je dois jeter dès que je sors de ma zone, mes gants - à changer dès que je touche à un patient, mon masque, ma visière - j’en mets une nouvelle à chaque pause - et je me lave les mains 100 fois par jour. Si je respecte toutes les procédures, ça m’étonnerait que je l’attrape. »
« Je n’ai pas vécu la première vague en CHSLD, mais selon ce qu’on me dit, la deuxième vague sera pire », ajoute-t-il. « De mon côté, ça se passe bien, dans le sens que les résidents infectés à la COVID sont tellement malades qu’il n’y a presque rien à faire... Ils dorment beaucoup plus que d’habitude. C’est plus de la surveillance que du divertissement pour le moment. Disons que c’est moins agréable que l’emploi régulier. Heureusement, nous n’avons pas eu de nouveaux cas depuis 3 jours. »
Son nouvel emploi en CHSLD et en zone chaude le force aussi à limiter ses contacts sociaux hors du travail. Confiné, ses seules sorties se font masquées. Après le travail, il rentre directement chez lui pour prendre une douche et en temps de COVID, c’est au travail qu’il doit se changer.
Ce qu’il trouve le plus difficile? « Interagir avec des gens qui ne comprennent pas toujours la situation. Garder en zone chaude des gens qui aimeraient sortir se promener, essayer de leur faire comprendre qu’ils sont malades sans leur faire peur. En temps normal, leur chambre qu’ils ont décorée, c’est leur maison. Mais en temps de COVID, ils sont dans une chambre impersonnelle, souvent sans leurs vêtements personnels. Cela ne les aide pas. »
Miriam Doerr Martin Frommherz/Shutterstock
Malgré les incertitudes et les défis, Yann sait qu’il est à sa place en CHSLD. Un changement de carrière qui a littéralement changé tout de sa vie : « C’est complètement une nouvelle vie - dont des quarts de travail différents - et c’est un travail que j’aime, ce qui est tellement important. Le matin, je me dis que je vais aller faire mon travail du mieux que je peux, du mieux de mes compétences et que je vais être là pour eux. Dans ma tête, je suis encore en formation et par chance, je travaille avec des gens d’expérience. J’ai le désir de m’améliorer. Je crois beaucoup à la vocation. Je crois l’avoir, cette vocation. »