Je suis une journaliste voyage en quarantaine : portrait de mon quotidien complètement bouleversé
J’ai changé la date de mon calendrier. Nous sommes apparemment le 23 mars et j’en suis à mon 10e jour de quarantaine.
10 jours se sont écoulés depuis mon retour légèrement stressant de la Tunisie, alors que je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait, de ce qui nous attendait. Alors que je ne savais pas à quel point j’étais chanceuse de pouvoir rentrer chez moi. Avant tout cela.
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20 jours se sont écoulés depuis que j’ai joyeusement invité mes parents à bruncher au Ritz-Carlton. Deux dizaines de jours et quelques poussières me séparent du moment où j’ai répondu avec désinvolture à ma mère déjà inquiète de se retrouver dans un lieu public « qu’il n’y avait pas de virus à Montréal voyons maman… ». Comme j’étais naïve il y a 20 jours (Mea Culpa à ma petite maman désormais en quarantaine).
J’en suis à ma dixième journée de quarantaine, loin de ce dehors et de ce monde qui ne seront plus jamais les mêmes...
Je suis journaliste indépendante. Avant tout cela, j’écrivais sur les voyages, sur les balades à vélo, le plein air et les rencontres qui enrichissent la vie.
J’allais écrire dans les cafés sans savoir que c’était un privilège de pouvoir m’asseoir dans un endroit public, discuter avec mon voisin de table se trouvant à moins d’un mètre, toucher sans peur la tasse de café apporté par mon serveur qui avait encore un travail.
Je venais de décrocher mon boulot de rêve, une collaboration stable dans un grand quotidien. Enfin, je récoltais ce que j’avais mis une dizaine d’années à semer.
Assise à la table de ma cuisine ce matin, en santé, mais en quarantaine ferme, j’écris parce que j’ai encore un peu la chance de le faire. Pour combien de temps? Je l’ignore. À l’instar de nombreux amis et collègues journalistes et travailleurs autonomes, mes contrats et collaborations se font de plus en plus rares...
Mon boulot de rêve décroché il y a quelques semaines vient tout juste d’être mis sur la glace. « J’espère qu’on verra la fin de cette pandémie rapidement », m’écrit-on en me disant qu’on n’aura pas de travail pour moi jusqu’à un retour à la normale. Il me reste heureusement d’autres clients et quelques histoires à rédiger.
Je n’écrirai plus sur mes belles rencontres ni sur mes voyages pour un bon moment, je le sais, je le comprends et je l’accepte. Ce qu’on vit est tellement plus grand que moi, que soi.
Je n’ai pas le choix, je dois rester positive.
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J’alterne les heures - qui s’égrainent tout doucement - de ce nouveau quotidien entre les moments passés devant mon clavier (désinfecté à fréquence régulière) à tenter de me concentrer, mon balcon arrière où se pointe comme par magie de salvateurs rayons de soleil et une salle à manger où, à l’heure du souper, je cuisine un verre à la main en insistant pour que subsistent les petits plaisirs de la vie d’avant.
Mon sofa est devenu ce refuge où je m’installe en soirée pour m’évader en regardant des séries qui me font rire. « Une journée sans rire est une journée perdue », dit souvent mon amie Nathalie qui n’a jamais eu autant raison qu’aujourd’hui.
Dans ma bibliothèque ce matin, le petit livre que j’avais acheté en voyage je ne sais plus où me saute aux yeux. Le titre : Everything Is Going To Be Ok. Je l’ouvre au hasard. One cannot be angry when one looks at a penguin. Je souris. Comme avant.
J’insiste pour que tout soit comme à l’habitude. Je m’habille, me coiffe, me maquille même, comme si j’avais quelque part où aller. Je m’imagine être sur le point d’aller marcher dehors, je rêve d’enfiler mes espadrilles pour courir vers des jours meilleurs.
J’ai souvent dit pour rire qu’on « était si confortable dans le déni ». Aujourd’hui, je ne suis pas dans le déni de ce qui se passe à l’extérieur, mais de ce qui se passe en moi. Je me rassure en me disant que tout cela n’est que temporaire, que cette angoisse qui a parfois envie de monter en moi n’est pas réelle, que « everything is going to be ok ».
J’ai choisi d’être positive malgré tous ces gens qui s’entêtent à ne pas suivre les règles. Je m’insurge, évidemment, et je ne comprends pas cette idée de ne pas vouloir le bien commun. Mais je ne peux plus passer des heures à tenter de raisonner ces « amis » qui se révèlent des monstres d’égoïsme… Ma patience a ses limites. Chaque contact Facebook que je supprime me fait autant de bien que de mal. J’ai mal à mon humanité.
Sur mon petit nuage de déni, j’insiste pour que le fil de ma vie suive son cours. Ce beau garçon que j’avais rencontré avant tout cela est devenu mon amoureux alors qu’on blaguait par textos, comme des ados.
« Veux-tu sortir avec moi? » qu’il m’a demandé en photo. J’ai souri et j’ai coché oui à cette petite case remplie d’amour et d’espoir surtout, de pouvoir continuer à vivre une belle vie - peut-être même encore plus belle qui sait ?- que celle d’avant. Avec lui qui est tellement présent malgré la distance. « C’est dans les moments comme ceux-là qu’on voit la vraie nature des gens », me dit ma sage maman. Je suis infiniment d’accord avec elle.
Compte Instagram de @sarahemilienault
Je suis en quarantaine depuis 10 jours et je sais bien que mon histoire n’est pas plus intéressante qu’une autre. Nous sommes tous seuls, mais ensemble, dans cette page d’histoire qui s’écrit et qu’on voudrait tous pouvoir effacer.
Je suis confinée entre 4 murs en compagnie d’Ariane, ma compagne de voyage devenue cette sœur que je n’ai jamais eue.
J’arrive à me réjouir de plusieurs choses. La présence virtuelle de tous ces précieux amis à qui je prends enfin le temps de parler longuement depuis que j’ai dû m’arrêter pour souffler un peu. Ceux que je vois en personne aussi – de loin, je vous rassure – et qui prennent soin de moi à coups de sacs d’épicerie bien remplis, de bonne soupe maison, de produits désinfectants et apaisants, de récits de la vie quotidienne, de mises à jour d’histoires d’amour, d’amitié, de famille et de vie qui continue, malgré tout.
Dehors, le soleil brille et le vent du mois de mars fait danser les branches de ces arbres que j’ai si hâte de voir fleurir.
Je rêve d’aller me balader sur le mont Royal, que mon nouvel amoureux me prenne dans ses bras et qu’Horacio me souffle à l’oreille que tout est bel et bien fini.
En attendant, j’écris, même si on ne me payera peut-être bientôt plus pour le faire.
Je fais ce qu’il faut – JE RESTE À LA MAISON - pour le bien de ceux que j’aime : mes parents, ma famille, mes amis et tous ceux que je ne connais même pas, mais que je souhaite en santé.
« Everything is going to be ok ». Oui.
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