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Témoignages

Agression sexuelle: Léa Clermont-Dion se confie sur son parcours judiciaire

Se tenir debout: on peut dire que c’est ce qu’a fait Léa Clermont-Dion au cours des dernières années.

Son documentaire T’as juste à porter plainte, co-réalisé avec Gianluca Della Montagna et disponible sur Noovo.ca, relate d'ailleurs le processus judiciaire de cette femme forte et engagée ayant été victime d’agression sexuelle ainsi que celui d’autres femmes victimes.

Elles allient leurs voix pour que le système les écoute et que la culture du viol se fissure enfin. Rencontre avec la réalisatrice Léa Clermont-Dion à ce sujet.

Léa, peux-tu nous décrire ton documentaire?

«T’as juste à porter plainte», c’est un documentaire portant sur le processus judiciaire vécu par les victimes d’agressions sexuelles. Parce que je le réalise avec mon chum, on suit mon histoire, c’est-à-dire mon processus judiciaire.

Parallèlement à cela, on a d’autres voix qui s’ajoutent, celles d’autres victimes qui ont vécu un processus judiciaire qui ont eu des expériences positives ou négatives. C’est un peu un guide de survie pour les victimes qui voudraient porter plainte.

Te savais-tu dotée d’une aussi grande force? Faire face à un tel processus, c’est déjà très intense, mais en plus le documenter pour le public québécois...

Pour vrai, non, dans le sens où je ne pensais pas être capable de le faire. J’ai eu des doutes. Avant le procès, j’étais un peu naïve, je ne savais pas trop à quoi m’attendre et je faisais un peu du déni. Mais quand j’ai vécu le procès comme tel, il y a un moment où je me suis demandé si j’allais être capable d’aller jusqu’au bout et si j’avais le droit d’abandonner. Mais je ne pouvais pas abandonner. C’est une expérience tellement intense, je pense qu’on le ressent quand on regarde le documentaire. Il faut vraiment le voir et assister à cela pour comprendre.

Alors oui, quand j’ai terminé le procès et l’interrogatoire, je me suis dit: je ne pensais pas que j’allais être capable de tenir debout, je pensais que j’allais craquer. Mais quand on est bien appuyée, on peut se sentir forte et en confiance.

Le fait d’avoir eu un procureur et des enquêteurs qui me croyaient, me respectaient et me supportaient a fait en sorte que, bien que tout cela ait été chiant et désagréable, j’étais prête à le faire.

Tu dis dans le documentaire qu’avoir su dans quoi tu t’embarquais, tu ne le referais sans doute pas, ta position a-t-elle changé à ce sujet?

En fait, je serais prête à le refaire, mais je suis contente que ce soit terminé… Mais ouf, je ne vais pas pouvoir refaire cela dans ma vie, c’est certain!

Avec du recul, la longueur et les délais du processus sont parmi les éléments les plus problématiques. Pour moi, ça fait 4 ans, mais s’il y a appel, ça peut perdurer jusqu’à 5 ans. C’est trop! Il n’y a pas de raisons valables à ce que ça soit aussi long. Oui, il y a un engorgement du système de justice, ce genre de processus est long, organiser un procès est long, mais il y a des limites à tout!

J’ai développé un mécanisme de défense : je n’en parlais jamais. Cela a été une stratégie pour me protéger et vivre une vie somme toute très épanouie. Mais avec du recul et un regard extérieur, ce délai-là est inacceptable.

Extrait du documentaire «T'as juste à porter plainte»

Il n’y a pas une victime qui devrait avoir honte d’avoir été molestée, abusée. Je suis tannée de la culpabilisation et du blâme des victimes et c’est pour cela que je me suis tenue debout. Il faut que la honte change de camp!

Si je te demandais de parler de notre système de justice après tout cela, que dirais-tu?

Mon procureur, entre autres, était extraordinaire. Maître Bérubé, je lui dois beaucoup. Il m’a donné vraiment confiance, c’est un homme qui a des valeurs très importantes et il se tient debout, alors il me donnait du courage. Même les enquêteurs étaient émotifs à la fin du processus, car on était tous dans cette quête, c’était aussi un travail d’équipe. Donc quand tu as une bonne équipe, ça aide.

Tout cela m’a réconcilié et a changé mon regard sur le système de justice — et je suis la première surprise de cela! — parce que j’ai vu les affaires derrière le système et cela permet d’humaniser. Tout n’est pas noir ou blanc.

On a donc essayé de faire un documentaire quand même nuancé, en ce sens que cela peut être parfois positif, parfois négatif comme expérience. Il y a des choses à améliorer, c’est clair, mais le fait d’avoir réellement côtoyé des gens qui effectuent ce travail m’a permis d’avoir plus confiance en ce système. Cependant, ça reste toujours une loterie…

Puisque c’est un morceau de ton histoire, penses-tu montrer un jour ce documentaire à tes enfants?

Je pense que je n’aurai pas le choix, probablement à l’adolescence. Quand il sera question de ce genre d’enjeux et que je sentirai qu’ils auront acquis la maturité, j’aborderai la question. Ce que je veux leur transmettre comme lègue, ce sont les notions de dignité et de respect d’autrui qui sont fondamentales selon moi. 

Aussi parmi les valeurs importantes que je veux diffuser, c’est qu’il n’y a pas une victime qui devrait avoir honte d’avoir été molestée, abusée. Je suis un peu tannée de la culpabilisation et du blâme des victimes et c’est pour cela que je me suis tenue debout. Il faut que la honte change de camp! C’est une discussion que je veux avoir avec eux.

Extrait du documentaire «T'as juste à porter plainte» avec Léa Clermont-Dion

Peut-on dire que le texto de Julie Snyder, qui t’a encouragée à réaliser ce documentaire, a changé ta vie?

Oui, parce que Julie Snyder est quelqu’un de très créatif, elle est passionnée et a les valeurs à la bonne place. Quand elle est engagée sur une cause, elle est vraiment fonceuse. Elle m’a donné du vent dans les voiles, alors que je me suis rendu compte que si je n’avais pas fait ce documentaire en parallèle de mon processus de justice, j’aurais été encore plus isolée et je n’aurais pas eu la chance de parler avec une trentaine de victimes. 

Ce texto a changé ma vie parce que ça a ouvert mes œillères et m’a permis vraiment d’élargir mon cercle, de questionner, d’en parler et de briser l’isolement et le tabou en partageant mon expérience avec d’autres gens qui comprenaient: cela a été super réparateur et libérateur.

Sans l’appel et le texto de Julie Snyder, je ne me serais jamais donné le droit de faire ce documentaire.

De quoi es-tu la plus fière quand tu regardes derrière, tout le chemin accompli?

Honnêtement, je suis très fière du documentaire, car c’est une prise de parole qui pour moi est une forme d’empowerment et j’espère que ça peut inspirer d’autres victimes qui se sentent isolées, parce qu’on n’est pas seules.

C’est aussi d’avoir été intègre à mes valeurs et de ne pas avoir abandonné, malgré les tentatives de mise sous silence qui ont été faites, car en plus de ce qu’on voit dans le documentaire, il y a eu d’autres moments d’adversité. Quand j’ai décidé de parler en 2014, il y a eu un «backlash [un contrecoup]», mais malgré cela, je ne me suis pas laissé intimider et je suis très fière de cela.

Je suis aussi fière d’avoir réalisé ce documentaire avec mon chum, le père de mes enfants, Gianluca Della Montagna, car j’avais besoin de faire ce documentaire avec quelqu’un qui me connait bien. On a trouvé un ton à la fois constructif, critique, parfois plus nuancé, parfois plus «rentre dedans». Je suis fière d’être parvenue à ce processus créatif avec lui, ça nous a unis et libérés d’un poids et j’aimerais que ça contribue à un dialogue dans la société.

Je suis quelqu’un de très optimiste dans la vie et je vois des solutions concrètes qui sont en train de se faire et pour moi le tribunal spécialisé pour les violences sexuelles, c’est une première victoire.

«T’as juste à porter plainte», le documentaire de Léa Clermont-Dion co-réalisé avec Gianluca Della Montagna est disponible sur Noovo.ca.

T'as juste à porter plainte, le documentaire disponible sur Noovo.ca

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