Dans le documentaire « Mourir pour la justice », diffusé sur Canal Vie le 17 février 2014, on peut suivre le combat mené par M. Pascal Lacoste, qui souhaite obtenir des soins médicaux adéquats pour lui, mais aussi pour tous les vétérans de l’Armée canadienne.
Lors d’une mission en Bosnie, ce jeune soldat a été intoxiqué à l’uranium appauvri et aux métaux lourds. Quelques années plus tard, il doit être rapatrié d’une autre mission au Timor Oriental, atteint d’un mal mystérieux qui lui cause d’horribles souffrances. Il ne recouvrera pas la santé et devra se battre pendant de longues années pour obtenir justice.
C’est par le biais d’une action hautement médiatisée, une grève de la faim menée devant les bureaux du ministre des Anciens Combattants, que M. Lacoste obtient finalement gain de cause pour lui et ses frères d’armes, mais la lutte continue…
Ici, c’est un autre aspect de son expérience que nous avons voulu aborder : celui de toutes les difficultés liées à souffrir d’une maladie qui n’est pas officiellement reconnue.
D’abord, pouvez-vous décrire brièvement les symptômes qui vous affectaient? Vous mentionnez des crises dans le documentaire. Comment se manifestaient ces crises?
L’élément déclencheur de ces crises, c’était habituellement une augmentation de douleur à un niveau inacceptable. Après avoir souffert pendant trop longtemps, mon corps ne sécrétait plus d’endorphines. Je commençais par avoir des convulsions, à être confus et je m’évanouissais le plus souvent pendant quelques secondes. Lorsque je reprenais connaissance, la douleur était moindre, mais j’étais encore très confus et déshydraté. Il fallait que l’on m’administre de l’oxygène pour que je récupère, puis que je me réhydrate et prenne de la morphine contre la douleur.
À partir de quel moment avez-vous commencé à vous douter que ces crises n’étaient sûrement pas que le résultat du choc post-traumatique?
Tout a commencé par le fait que j’ai perdu 35 livres en 9 jours, quand j’étais encore dans la jungle. Ce n’était pas normal. Je ne me laissais pas mourir, j’essayais de boire et manger normalement. C’était évident qu’il y avait autre chose que le choc post-traumatique. Ça a toujours été clair dans ma tête que mes symptômes n’étaient pas d’ordre psychologique.
Est-ce que vous avez déjà eu l’impression que vos proches ne croyaient pas non plus à votre maladie? Quelle était leur réaction face à votre souffrance?
Il y avait beaucoup d’incompréhension autour de moi. J’ai un cercle d’amis proches qui voyait bien que j’étais devenu en très peu de temps une personne handicapée alors que j’étais un athlète auparavant. Par contre, les membres de ma famille proche ont douté. Ils ne doutaient pas de moi, mais ne comprenaient pas ma condition, puisque personne n’avait d’explications.
Avez-vous déjà eu peur de « perdre la tête », comme on dit?
Quand les autorités médicales m’ont dit que tout était dans ma tête, j’ai voulu voir ce qu’il en était vraiment et j’ai décidé de faire ce que je faisais le mieux au monde : courir. Mais je n’ai pas couru longtemps et je me suis évanoui dans un fossé. Quand je suis revenu à moi, je me suis rendu, difficilement jusqu’à mon domicile. Et là, je me suis confirmé à moi-même que ce n’était pas dans ma tête. Mon corps ne m’aurait pas lâché de cette façon si c’était seulement un trouble d’ordre psychologique.
Quels sont les questionnements et les émotions qui vous habitent lorsque personne (ou presque) ne vous croit?
Je n’ai jamais eu de doutes sur ma condition, mais il faut bien comprendre que la condition physique influe sur la condition mentale, et vice-versa. Ma problématique était autant physique que mentale, mais malheureusement, l’armée ne s’est concentrée que sur le volet psychologique. Et encore, pas au moyen de thérapie avec des intervenants en santé mentale, mais seulement en prescrivant des médicaments antidépresseurs.
Avez-vous déjà pensé faire comme certains de vos compagnons d’armes et vous ôter la vie pour en finir avec la douleur et l’incompréhension?
Oui. Avant toute cette histoire, j’étais un homme qui allait très bien : j’étais un athlète, j’avais une carrière que j’aimais, une bonne santé physique et mentale, un cercle d’amis, etc. Et puis du jour au lendemain, j’ai perdu mon identité un morceau après l’autre, on m’a dit que tout était dans ma tête, on a refusé mes demandes d’aide et de soins, on m’a dit que je menaçais des fonctionnaires parce que j’étais en crise et voulait simplement me faire soigner… Le simple fait de devoir demander de l’aide est difficile, mais comment croyez-vous qu’on se sent lorsqu’aucune démarche n’aboutit et qu’on essaie de me faire croire que tout est dans ma tête encore une fois? On se sent comme un moins que rien. On pense qu’on est un déchet de la société et oui, en effet, on envisage l’idée de mettre fin à ses jours. J’y ai pensé, mais j’ai décidé de me donner une autre chance.
Qu’est-ce qui vous a permis de surmonter toute cette incompréhension et de vous battre?
Je me suis rendu compte que je n’étais pas une exception, qu’il y a un grand nombre de vétérans qui vivent la même détresse et la même souffrance. Je suis juste un cas parmi tant d’autres. Ma seule motivation, c’est d’inciter mes frères d’armes à trouver le courage d’aller, eux aussi, chercher l’aide dont ils ont besoin.
Aujourd’hui, est-ce qu’on remet encore en doute toutes les conséquences de la contamination à l’uranium appauvri dans votre vie?
Suite à la grève de la faim, le gouvernement canadien continu à nier que l'intoxication à l'uranium peut causer des problèmes de santé. Je dois mener un combat politique pour avoir des soins.
Quel est votre état de santé actuel?
Physiquement, il m’est arrivé quelque chose de merveilleux. Je suis partie en Nouvelle-Écosse pour avoir des traitements visant à augmenter mon système immunitaire et m’aider à avoir plus d’énergie. On m’a prescrit des injections de magnésium par intraveineuse. Dès la première journée du traitement, j’ai vu des effets spectaculaires : j’étais, pour la première fois en de nombreuses années, prêt à affronter ma journée. Je me suis senti à nouveau comme un être humain normal. Malheureusement, même si ma prescription provient d’un spécialiste canadien, le plan de traitement a été refusé par les médecins du Québec. Comme je ne peux pas retourner toutes les deux semaines en Nouvelle-Écosse pour suivre mon traitement, j’ai dû payer les frais de ma poche à une clinique privée. Mais je ne le regrette pas, car j’ai maintenant une belle qualité de vie.
Je suis traité par une clinique de santé environnementale. J’ai dû déménager loin du centre-ville pour que l’air soit pur, dans une maison avec un système de ventilation et de filtration d’eau, je dois avoir une hygiène de vie parfaite, manger bio, etc. J’ai aussi un plan de reconditionnement physique. Mon corps a repris le dessus : je m’entraine un peu chaque jour. Mon système immunitaire a augmenté. J’ai un bon moral et un bon cercle social. Je suis mon plan de traitement à la lettre et je me porte de mieux en mieux.
Pour l’aspect psychologique, je pense que c’est bien d’avoir un suivi et de faire un bilan de temps à autre.
Après une telle expérience, est-il possible de passer à autre chose, ou est-ce que ce combat est désormais le vôtre pour toujours?
Aujourd’hui, je suis satisfait de mon sort, mais je considère que j’ai un devoir moral envers mes frères et mes sœurs d’armes. Je pense que j’ai un talent de communicateur et je veux l’utiliser pour aider tous les vétérans canadiens à avoir des soins adéquats et adaptés à leur condition. Je considère qu’il est injuste que les vétérans ne puissent pas recevoir les soins dont ils ont besoin et je veux m’impliquer de toutes les manières possibles pour que cela cesse. C’est ma mission, et je suis tellement motivé que je souhaite entreprendre une maitrise en communication pour poursuivre dans cette voie. C’est ma vocation : je suis un guerrier et je suis venu au monde pour me battre pour la justice.
Vous dites que l’armée était pour vous une vocation. Mais quels sont vos sentiments après cette trahison? Est-ce que vous avez des rancœurs contre le système militaire?
Je ne me sens pas trahi par l’armée, mais par la manière dont les choses sont traitées au niveau gouvernemental. Tous les Canadiens doivent être vus comme des personnes à part entière, et pas comme une ressource humaine. Je ne me sens pas trahi par mon pays, mais je souhaite me battre à mon niveau contre la manière de gouverner et de traiter tous les citoyens, ce qui inclut évidemment les vétérans.
Et si un jeune garçon vous disait aujourd’hui qu’il aimerait lui aussi devenir soldat, qu’allez-vous lui répondre?
Je vais d’abord le féliciter pour son dévouement. Je vais lui dire aussi que le plus important dans la vie, c’est d’être heureux, et je vais l’encourager à poursuivre dans cette voie si c’est vraiment sa vocation. Par contre, je vais également lui dire qu’il est un être humain avec ses propres limites, et qu’il devra apprendre à les respecter.
Comment les gens qui doutaient de vous ont réagi lorsqu'ils ont eux aussi compris que ce n’était pas dans votre tête? Que votre maladie était réelle?
Je ne sais pas. Il faudrait le leur demander. Moi, je suis un homme positif et je ne m'attarde pas aux faibles d'esprit qui jugent sans savoir, plutôt que de faire l'effort de chercher à comprendre.
Pour finir, que suggéreriez-vous aux gens qui sont persuadés d’être malades, mais que personne ne croit?
Vous me faites sourire avec cette question. Si vous avez des symptômes évidents et que les médecins ne peuvent l'interpréter adéquatement avec la littérature médicale actuelle, rappelez-vous qu'il y a quelques années, on croyait que la terre était plate… Sérieusement, il faut se concentrer sur les solutions et se dire que la médecine n'est pas une science complète. Il reste beaucoup de recherches à faire. Il faut essayer de rester positif et de ne conserver dans son entourage que les personnes qui nous aident.
Propos recueillis par Cécile Moreschi, rédactrice Canal Vie.