Que vous le vouliez ou non, votre enfant vivra un jour sa première peine d'amour. Et elle pourrait se produire plus vite que vous ne le pensiez! Pour être en mesure de mieux comprendre la grande tristesse qu'il pourrait ressentir, nous vous offrons cette entrevue réalisée avec Andrée Therrien, maître en psychologie, spécialisée en psychologie infantile.
Canal Vie : Est-ce que la vraie peine d'amour existe chez les préadolescents, disons âgés de 10 à 13 ans?
A T : Ça dépend! À tous âges, une peine d'amour est un « deuil », une « perte », une « amputation » à son coeur : elle engendre une angoisse de séparation... Dans cette perspective, un enfant de dix ans peut vivre un deuil concernant une relation quelconque et son intensité et sa durée dépendra en grande partie de l'investissement affectif déployé, de son lien d'attachement parental et de ses expériences antérieures.
Canal Vie : Qu'est-ce qui détermine la façon dont il réagira à cette première grande perte?
A.T : La qualité du lien d'attachement avec ses parents sera en partie déterminante dans ses propres relations amoureuses. Plus un enfant a un lien insécurisé avec son parent, plus il aura vécu des traumatismes émotifs, psychologiques ou sexuels, et plus son lien d'attachement et ses peines amoureuses pourraient en être affectés et fragilisés.
Canal Vie : Quel type d'enfant est le plus sujet aux peines d'amour?
A.T.: Tous les enfants et tous les grands vivront des peines d'amour. Évidemment, chaque cas est unique et c'est plus la façon qu'ils auront de la traverser, la durée et l'intensité qui les distingueront les uns des autres : les enfants trop couvés, pas assez, ceux qui vivent dans des constellations familiales chaotiques, les enfants au tempérament anxieux, les surdoués, etc. peuvent être plus fragiles. Mais en général, plus l'enfant aura des exemples relationnels sains et équilibrés, plus il aura de moyens et de schèmes de référence pour passer à travers une peine d'amour sans être trop écorché, s'il ne présente pas au départ de pathologie psychologique, sociale ou physique invalidante.
La qualité du lien d'attachement, bien que déterminant, n'est toutefois pas une garantie à une peine moins lourde, mais il instrumente, outille et procure à l'enfant des schèmes de référence à des situations similaires. L'enfant dispose ainsi d'une certaine forme de sécurité affective devant la perte sur laquelle il peut s'appuyer et il peut donc en utiliser les fondements contre une dépression ou une angoisse trop envahissante.
Canal Vie : Certains parents pensent que parce que leur enfant est jeune, la peine sera moins grande. C'est une erreur, non?
A.T : En effet, on doit toujours reconnaître et admettre la souffrance de l'enfant et ne pas la banaliser même pour une peine d'amour à 11 ans! Cette reconnaissance parentale envers son enfant est une marque non seulement de respect, mais aussi d'empathie, de compréhension envers les sentiments ressentis.
Canal Vie : Est-ce qu'il y a une différence entre la peine d'amour chez les filles et chez les garçons?
A.T : Oui et non. Les filles sont plus portées vers l'intériorisation alors que les garçons sont plus dans l'extériorisation comportementale. Toutefois, l'inverse se peut également. Il faut donc rester ouvert aux différentes avenues que peut prendre une peine d'amour. Cependant, il faut tenir compte du fait que les garçons et les filles n'entrent pas dans ce grand monde sexuel de la même façon. Cela peut expliquer, en partie, leurs réactions différentes aux peines d'amour. Chez le garçon, l'arrivée des hormones sexuelles est agréable : vive la masturbation et l'éjaculation! Pour les jeunes filles, la période menstruelle, les maux de ventre et ses inconvénients font que le développement de la sexualité se fait beaucoup plus sur un plan cérébral chez elles et plus sur un plan génital chez les jeunes garçons. Cette entrée en la matière demeura tout au long des années et devrait être prise en considération.
Canal Vie : Comment l'amour se vit-il au juste à la préadolescence?
A.T : Chez les enfants de cet âge, le concept de « l'amour » est une phase en devenir surtout avant l'arrivée des hormones sexuelles et de certains changements neurologiques qui favorisent ses capacités de conceptualisation. L'enfant sort tranquillement de son narcissisme infantile pour se diriger vers l'individualisation face aux figures parentales en prenant comme référence son groupe de pairs. Il y a alors un transfert de l'attachement parental vers une personne extérieure à la famille.
C'est une période où l'enfant apprend à définir sa position sexuelle par rapport aux autres filles/garçons : il la vérifie, il imite les adolescents plus vieux, il apprend à courtiser, définie les balises de ses goûts et attirances personnels, il peut vivre du rejet, mais en même temps il découvre que lui-même n'aime pas toutes les personnes qui s'intéressent à lui. Il transfère ce qu'il a vécu sur le plan de l'attachement à un autre schéma plus personnalisé. Il se positionne sur les concepts de la confiance mutuelle, de la loyauté et de l'engagement. Sur le plan corporel, il compose avec les changements qui lui sont imposés, découvre et apprivoise les effets de la dopamine et des endomorphines (ce qui est très agréable en soi même si cela peut provoquer des impressions de perte de contrôle et de l'insécurité!). Il apprend que la sexualité a un lien direct avec sa propre existence en ce bas monde!
Canal Vie : En quoi la première peine d'amour est-elle si importante?
A.T : La première peine d'amour est difficile parce que l'enfant se rend compte de sa fragilité amoureuse/affective et ne sait pas comment et pourquoi son corps et sa tête réagissent de cette façon : il se sent déçu, trahi, il a peur devant l'inconnu, peut avoir mal à la tête, au ventre, se sentir anxieux, dépressif, colérique, irritable, vivre une perte d'intérêt, se questionner sur sa valeur personnelle, vivre une perte d'estime de soi et il se demande surtout quand tout ce brouhaha corporel et cérébral cessera.
Canal Vie : Et quel est le rôle du parent dans tout ça?
A.T : Le parent aussi pourrait se sentir insécurisé par rapport à la peine de son enfant. Durant les dernières années, il aura appris à composer avec les frustrations et peines de son enfant par rapport à des restrictions parentales, scolaires et amicales... mais pas avec une peine amoureuse! Le parent peut aussi se questionner sur le fait que cette peine pourrait refléter un malaise relationnel parental! Il faut donc faire bien attention, surtout pour les plus jeunes, à ne pas rendre le processus de guérison trop complexe ou encore à banaliser l'amour, ce qui pourrait avoir comme effet de dépersonnaliser leur monde imaginaire sur le sujet. Il devient donc important pour le parent de parler de sexualité, de le diriger avec respect, de lui servir de modèle et le tout, en adaptant le discours selon l'âge de l'enfant et de son stade de développement.
Le parent devrait accompagner son enfant dans les différentes étapes qu'un deuil nécessite, se montrer ouvert et compréhensif. Il peut aussi se servir de cette situation pour se repositionner, raffiner et/ou améliorer son propre lien d'attachement avec son enfant. Si les symptômes persistent dans le temps, une aide professionnelle est à considérer.
Canal Vie : Comment peut-on consoler notre enfant de sa peine d'amour?
A.T : On peut consoler un enfant en l'écoutant, en le berçant, en lui laissant comme message qu'on est disponible pour lui s'il ne veut pas parler ou se faire serrer dans les bras. Il faut aussi accepter qu'il ne veuille pas nécessairement partager sa peine avec nous ou qu'il désire se retirer seul. On peut discuter des peines d'amour en général, expliquer que dans toute peine d'amour, il y a le choc, la tristesse, la colère, une période de latence et la reconstruction qui prépare à une nouvelle relation. Chaque étape doit être vécue si on veut arriver à une certaine paix et à voir cette peine d'amour non pas comme un échec, mais comme un apprentissage où on en sort plus fort et plus lucide. On peut raconter notre propre histoire si elle n'est pas trop chargée au niveau émotif. On peut également tenter de le distraire, mais sans insister, s'assurer qu'il dorme bien, qu'il mange bien et qu'il prenne un peu d'air frais. L'on se doit de demeurer vigilant quant aux changements drastiques dans sa routine de vie qui peuvent indiquer son degré de souffrance. On peut également s'informer de son fonctionnement dans les autres sphères de sa vie comme à son enseignant(e), aux parents de ses amis, ses entraineurs sportifs, etc., ce qui nous donnera une bonne perspective de son fonctionnement. Enfin, il s'agit surtout de ne pas banaliser sa peine et ne pas la rendre trop dramatique non plus!
Un merci tout spécial à Andrée Therrien, M.P.S, qui nous a permis de rédiger cette entrevue.
Violaine Dompierre, éditrice Canal Vie