Lettres cursives ou scripts, apparition des nouvelles technologies; le débat entourant l’apprentissage de l’écriture dans les écoles québécoises gagne du terrain. Doit-on privilégier un style plutôt qu’un autre? Faut-il craindre l’arrivée des ordinateurs et autres tablettes sur les pupitres de nos enfants?
L’écriture manuscrite
Au Québec comme aux États-Unis, on exige depuis toujours que nos élèves maitrisent les deux styles d’écriture manuscrite; le cursif et ses belles boucles attachées, et le script, ces lettres au tracé simple et droit qui ne sont pas reliées entre elles et qui s’apparentent aux caractères d’imprimerie.
En règle générale, en première année, c’est donc avec le script que nos petits forment leurs premiers mots. Puis, l’année suivante, c’est en lettres cursives qu’ils poursuivent leur apprentissage.
Mais, chez certains de nos voisins américains, ces méthodes pédagogiques sont à la veille de changer. En effet, dès la rentrée prochaine, pas moins de 45 États délaisseront l’écriture en lettres attachées pour se concentrer sur le script, ainsi que sur le clavier d’ordinateur.
Il n’en fallait pas moins pour relancer le débat au Québec. Si l’utilisation des outils électroniques gagne inévitablement du terrain, amenant par la même occasion son lot d’interrogations, c’est plutôt le double apprentissage de l’écriture manuscrite qui commence à être remis en question.
Un double apprentissage contre-productif?
Selon une étude réalisée auprès de 718 élèves de deuxième année et menée par les professeures Marie-France Morin, de l'Université de Sherbrooke, Natalie Lavoie, de l'Université du Québec à Rimouski, et Isabelle Montesinos-Gelet, de l'Université de Montréal, le double enseignement nuirait à l’élève dans son apprentissage de l’écriture.
Elles ont en effet relevé qu’au début du primaire, l’élève consacrait la quasi-totalité de son énergie cognitive à la calligraphie. Les recherches ont donc montré que l’automatisme de l’écriture, quel que soit le style enseigné, leur permettrait de se concentrer sur les aspects plus complexes comme l’orthographe, la syntaxe, le vocabulaire ou encore la qualité des textes.
Mmes Morin, Lavoie et Montesinos-Gelet recommandent alors d’instaurer l’enseignement unique dans les écoles du primaire pour que nos enfants maitrisent parfaitement au moins l’un des deux styles.
Script (lettres détachées) ou cursif (lettres attachées)?
Et si la conclusion de l’étude évoque que le cursif est bénéfique d’un point de vue du développement et des habiletés d’écriture, les chercheuses précisent tout de même qu’il manque encore de littérature sur le sujet.
En effet, les élèves n’ayant appris que l’écriture cursive ont de meilleurs résultats, tant au niveau de l’orthographe que de la grammaire. On peut alors expliquer cela par le fait qu’en lettres attachées, l’enfant se concentre davantage sur l’ensemble du mot.
Plusieurs études ont également souligné que la vitesse de rédaction était optimale avec le cursif et permettait donc à l’élève une plus grande rapidité d’exécution.
En script, il aura alors tendance à focaliser sur la lettre puisque, même si le tracé exécuté est plus simple, le levé de crayon n’entraine pas de vue d’ensemble du mot. Comme ce style s’apparente aux lettres produites par les claviers, c’est alors celui qui devient le plus instinctif pour beaucoup.
Et s’il est encore trop tôt pour préférer l’une ou l’autre des écritures manuscrites, c’est également parce que les enseignants ne sont pas tous égaux face à leur propre apprentissage, eux-mêmes ne maitrisant pas parfaitement chacun des styles.
Enfin, il a également été relevé qu’il était plus difficile de déchiffrer l’écriture en lettres attachées si elle n’est pas maitrisée. Est-ce la fin d’une époque où les plus jeunes ne seront plus capables de lire les correspondances d’antan et les documents historiques aux boucles rondes et travaillées? Aux États-Unis, certains manuscrits font même l’objet de traduction en lettres scriptes afin qu’ils soient accessibles au plus grand nombre.
Et le clavier dans tout ça?
Il faut rester réaliste; quand un jeune est capable de taper 60 mots à la minute, par texto par exemple, peut-on vraiment exiger de lui qu’il écrive en lettres attachées? D'ailleurs, selon un sondage américain, 77 % des élèves interrogés pensent qu’elles n’ont plus leur place dans l’apprentissage de l’écriture.
Pour les professeurs, les travaux réalisés à l’ordinateur peuvent aussi les délester d’un poids et leur éviter d’avoir à déchiffrer les mots produits par les petites mains encore maladroites de nos enfants.
Mais à l’ère des outils de correction intégrés aux machines, comment savoir si les élèves ne trainent pas de lacunes tout au long de leur scolarité? Sans brouillon manuscrit, l’enseignant passe alors à côté de tout le processus de réflexion de l’enfant, l’empêchant alors d’intervenir et de l’encadrer au besoin.
Il a d’ailleurs été démontré que l’écriture manuscrite stimulait le développement cérébral, dont le langage et la mémoire, ainsi que l’apprentissage de l’alphabet.
Il ne faut par contre pas négliger les avantages que l’ordinateur peut apporter puisqu’en quelques clics, les élèves ont la possibilité de réorganiser leurs idées. Enfin, la standardisation et le fait de produire un document lisible peut également les aider à voir leurs travaux valorisés.
Philippine de Tinguy, rédactrice Canal Vie,
en collaboration avec Natalie Lavoie, professeure au département des sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Rimouski et titulaire de recherche sur la persévérance scolaire et la littératie et co-auteure de l’étude « Enseigner l’écriture sript-cursive au primaire: une pratique pédagogique mise en question »