Petite, je gardais toujours le meilleur pour la fin. D’ailleurs, ça exaspérait mes parents, par moment. Je le faisais pour chaque repas, mais aussi avec les desserts. Je mangeais le gâteau en premier, et tout le glaçage à la fin. Même chose avec les biscuits Oreo. Je faisais une boule avec la crème blanche que je savourais tranquillement après avoir mangé les deux biscuits plutôt secs. Au-delà de la nourriture, on est plusieurs à prendre très tôt cette habitude : garder le meilleur pour la fin... ou simplement remettre à plus tard. Plus tard, on aura plus de temps, plus d’argent, les enfants seront plus vieux, ça sera plus facile. On fera ce dont on a vraiment envie à la fin de la journée, le mois prochain, l’année prochaine ou... à la retraite.
Un ouragan qui change les plans... un peu comme une pandémie!
Lorsque je me suis envolée vers un tout-inclus pour mon voyage de noces à la mi-vingtaine, j’ai réservé mes 3 soupers « hors buffet », pour les 3 derniers soirs de la semaine. Tu sais, dans ce type de forfait, on a souvent droit à quelques repas à la carte dans différents restaurants du complexe hôtelier. Je me suis dit que ça terminerait bien les vacances d’avoir chaque soir un repas différent, dans un lieu différent. Le plus attendu était le souper dans le charmant resto directement sur la plage. On a donc mangé au buffet les premiers jours, en attendant la fin de la semaine. Ce que l’on ne savait pas, c’est que l’ouragan Ivan était en formation pas très loin... Finalement, le 4e matin, nous avons été rapatriés au Canada, sans même avoir le droit à nos 3 derniers soupers. Tu me diras que ce n’est pas la fin du monde... Effectivement! Toutefois, pendant plusieurs mois, j’ai pensé à ce souper, les pieds dans le sable, manqué... et je me suis dit : « mais pourquoi avoir voulu garder le meilleur pour la fin? Pourquoi ne pas en avoir profité dès le début? »
À partir de cet instant, une prise de conscience s'est opérée. Je ne vis pas pour autant sans me soucier de l’avenir, mais j’ai cessé de vivre en remettant à plus tard, en pensant qu’il y aurait un meilleur moment pour faire telle ou telle autre chose. Cela ne signifie pas que je ne planifie pas, au contraire. J’ai toujours été économe, et à mon avis, c’est essentiel pour une vie sereine et pour réaliser ce dont on a envie. Mais, je me permets de vivre mes rêves, lorsque c’est possible. À quoi servirait de tout repousser à plus tard, exactement?
L’économie, oui! Mais, avec l'objectif de réaliser ses rêves
Je prône la simplicité volontaire, et l’économie dès que possible... mais, pas dans le simple but d’accumuler de l’argent.
De manière générale, je suis plutôt en accord avec les grands principes de Pierre-Yves McSween. Cependant, lorsque je l’ai entendu, à Tout le monde en parle, discuter de son nouveau livre Liberté 45, j’ai été étonnée de l’un des commentaires qu’il a faits. Guy A. Lepage lui demandait : qu’est-ce que ça donne d’être libre financièrement quand on se trouve en pleine pandémie? Pierre-Yves McSween lui a alors répondu qu’il pouvait boire du bon vin...
Évidemment, je comprends que ce n’était qu’un commentaire, mais tout de même, il semait une étrange image. Comme si le fait de boire du bon vin, aussi excellent soit-il, pouvait remplacer des expériences de vie. Boire du meilleur vin, confiné entre 4 murs... qu’est-ce que ça a comme saveur? Si notre passé n’est pas rempli de moments merveilleux à se raconter, peu importe le vin, il sera plutôt fade, non? Mon conjoint et moi, on dit souvent que le meilleur vin que l’on a bu est, sans aucun doute, celui sur le pont de notre voilier aux Bahamas, lors de l’un des merveilleux couchers du soleil. On buvait alors un vinier bas de gamme qui se trouve dans les magasins de boissons des certaines petites iles. Mais, il était savoureux, car tout était parfait autour de nous. Ce n’est pas tant le prix, mais les gens et le lieu qui rendent un vin exquis... Et ça pourrait même être un verre d’eau! Le merveilleux ne réside pas dans le coût. La pandémie nous le prouve chaque jour.
Des moments du passé qui nourrissent le quotidien et qui permettent de rêver au futur
Bref, depuis le début de la pandémie, je remercie la vie de ne pas avoir attendu de célébrer mes 40 ans, ou même d’être à la retraite, pour vivre un an en voilier, de ne pas avoir attendu que ma cuisine soit rénovée pour inviter famille et amis. Je pense aussi à mon voyage de plus d’un mois avec mon amoureux et nos 4 filles, alors qu’elles avaient moins de 6 ans. Les gens croisés à l’aéroport nous questionnaient : pourquoi partir avec des bébés? Pourquoi n’attendez-vous pas qu’elles soient adolescentes? Elles en profiteraient davantage! On n’avait pas d’autres réponses que : "on le fait parce qu’on en a envie!" Avoir su, j’aurai pu leur répondre: "peut-être seront-elles en confinement à l’adolescence et on ne pourra pas sortir du pays..."
Chaque jour, entre les 4 murs de ma maison, j’ai une tonne d’images dans ma tête. Et je réalise plus que jamais à quel point c’est important de ne pas garder le meilleur pour la fin. Car, ces moments extraordinaires, une soirée festive, un voyage, des rencontres, nourrissent mon quotidien. Lorsqu’on conserve le meilleur pour la fin, on oublie de nourrir notre présent.
De plus, on ne peut savoir de quoi cette fin sera faite et quand elle surgira. J’espère que cette pandémie laissera cette trace positive en nous, celle de profiter de l’instant présent : quand on peut voir des amis, on n’hésite pas (même si notre demeure n’est pas dans l’état idéal!), quand on rêve de voyager, on économise dès que possible pour pouvoir concrétiser cette escapade, quand on a envie de manger un délicieux dessert, on le déguste dans son entièreté, car chaque ingrédient rehausse le goût des autres. La vie est faite, elle aussi, pour être savourée dans son entièreté, chaque jour, chaque instant.
Alors, de ton côté, garderas-tu encore le meilleur pour la fin ou commenceras-tu dès maintenant à savourer de petits plaisirs ici et là? (Oui, oui, c’est encore possible, même en confinement!)